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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

lement après une de ces révérences, au milieu de ses jupons étalés, quand un léger bruit l’alarma. Inquiète des regards indiscrets, mais ne s’attendant guère à voir qu’un domestique, elle se retourna. Ciel ! que vit-elle ? Ce n’était ni plus ni moins que Sa Majesté très chrétienne, qui se dirigeait de son côté, avec un brillant cortège de gentilshommes jeunes et vieux, en costumes de chasse, qui avaient tous été témoins silencieux de ses exercices. Depuis le roi jusqu’au dernier du cortège, tous défilèrent en la saluant et riant à gorge déployée au nez de la faiseuse de fromages interdite. Quant à elle, pour parler en style homérique, elle eût voulu voir la terre s’ouvrir pour y cacher sa confusion.

Lord W. et moi, nous avions alors l’âge de mademoiselle Genet, et nous n’étions guère livrés à une occupation plus sérieuse quand un détour du chemin nous mit soudain en présence d’une partie de la famille royale qui se promenait dans une des allées de Frogmore. En fait, nous étions en train d’étudier d’une manière théorique et pratique l’art de lancer des pierres. Les garçons ont un mépris particulier pour ce que les filles peuvent faire en ce genre. Outre que les filles manquent le but avec une certitude qui leur eût valu les applaudissements de Galérius, il y a un certain mouvement de fronde imprimé au bras qui lance la pierre, auquel jamais une fille ne peut arriver. Grâce à de longs exercices, j’avais fait quelques progrès dans cet art, et je développais les motifs des échecs féminins en éclaircissant mon système par le jet de cailloux, ainsi que le comportait la circonstance, tandis que Lord W. s’exerçait au mouvement du poignet avec un shilling, quand soudain il tourna