Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

ques personnages officiels, conseillers et ministres d’État, alors que l’urgence et l’accablement de leur esprit sous le poids des soucis publics ne sécularise que rarement la faculté de parler d’autres choses que des affaires. Il est vrai, si le souverain possède une certaine franchise, une certaine jovialité de caractère, il peut faire beaucoup en maintes circonstances pour dégeler cette réserve pointilleuse, cette contrainte embarrassante, mais c’est chose accidentelle, et dépendant de l’individu. Et d’autre part, cela même est contrebalancé, et ainsi que je l’ai remarqué dans la société aristocratique et fashionable, où on se fait parfois une affaire d’amour-propre, de soutenir ce qu’on appelle le bon ton dans la conversation, cela consiste à éviter tout naturellement, au besoin expressément, volontairement, de s’attarder, de flâner sur un sujet, de ne permettre aucune discussion prolongée. Assurément l’on a raison, si l’on se place au seul point de vue de l’art d’échanger des propos dans la causerie, ou à table, ce qui est aussi un grand art. J’admettrai volontiers qu’un imbécile sans éducation, quand il commet à une table élégante l’infamie de provoquer la discussion, la dispute proprement dite, devrait être expulsé sommairement par un officier de police, et peut-être qu’un jour la loi autorisera à le garder sous caution pendant un an ou deux, suivant le degré d’énormité de son cas. Mais les hommes ne sont pas toujours occupés à rechercher des plaisirs de la société, ou à s’y livrer : ils cherchent aussi, et ils sont obligés de chercher soit dans les livres, soit dans l’homme un accroissement intellectuel, un regain de force, un surcroît de santé, pour se tenir au niveau et au-dessus de cet univers mou-