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DU MANGEUR D’OPIUM

s’attendre à de belles choses, et ce n’était pas la faute du soleil, qui sans doute, avait fait de son mieux. Car en général, un lever ou un coucher de soleil, doit être vu de la vallée ou horizontalement, et non pas chantement (slantingdicularly) comme dirait le Kentuckien. Mais pour en revenir au Cap Horn, eu égard à sa position et à son rôle, il paraît vraiment déshonorer la planète, car il n’est pas seulement le mont spéculaire qui fait sentinelle et veille en quelque sorte sur une trinité d’Océans, c’est de plus le gardien de l’entrée du Pacifique selon la tradition, et enfin c’est pour toutes les Amériques le temple du Dieu Terme. Si bien que malgré tant de dignités, il me paraissait dans le dessin, n’être plus qu’un échafaudage provisoire bâti par un charpentier, en attendant que le véritable Cap Horn fût prêt, ou n’être qu’une toile de fonds empruntée à l’Opéra. C’était un exemple de disproportion.

Les deux autres, ce furent les adieux suprêmes et cérémonieux de Garrick quand il abandonna le théâtre, et l’inauguration de Georges IV à Pall-Mall, le jour de son avénement au trône. La disproportion absolue de l’auditoire avec la scène dans les deux cas, (je dit de l’auditoire, et c’est bien le mot juste pour l’ensemble des spectateurs dans le premier) jeta sur l’un et l’autre un ridicule qui ne s’est point effacé. Il est dans tous les cas impossible à un acteur de dire des paroles d’adieu à ceux auxquels il adresse réellement ses adieux. Il ne saurait placer devant lui son véritable objet. À qui présenterait-il ses derniers adieux ? Nous tenons d’un homme qui s’il aimait Garrick, n’aimait certes pas la profession de Garrick, et qui n’eût voulu pour