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DU MANGEUR D’OPIUM

chancelante. Un interrogatoire bien conduit lui fit découvrir qu’étant en qualité de nouveaux les fags (tel est le terme technique) des anciens auxquels ils avaient été assignés, ils étaient obligés de sortir la nuit et d’aller en ville pour faire des commissions, mais la chose n’était pas aisée, attendu que les issues ordinaires étaient fermées à huit ou neuf heures. Dans cette situation embarrassante, un fag honnête devait passer à tout prix par n’importe quel chemin, et il se trouvait qu’il n’y en avait qu’un seul par où l’on pût passer, et le seul qui eût échappé à tout soupçon, tout simplement parce qu’il traversait une série de temples consacrés à la déesse Cloacina. Ce n’était pas en somme un grand tour de force, tout l’étonnant consistait dans leur nombre : il y en avait dix-sept. Tel était le nombre exact de ces édifices sacrés, et ces malheureux serfs étaient forcés d’en traverser les marécages méphitiques, et cela chaque nuit de la semaine. Quand le docteur Mapleton apprit cela, il ne s’étonna plus des symptômes médicaux, mais comme la brimade était un abus trop vénérable et trop sacré pour être attaqué par des mains profanes, il ne déposa pas une inutile plainte ; il se borna à mettre ses fils dans une école où les marais serboniens de la déesse souterraine ne se trouvassent pas aussi souvent sur le passage des équipées nocturnes. Un jour que le digne docteur essayait de me divertir par ce récit de cette anecdote, et me demandait si, à mon avis, Annibal aurait tenté de franchir le Petit Saint-Bernard, alors que l’éléphant qui lui serait de monture aurait eu à traverser dix-sept locaux semblables, il fut amené à me faire part de la seule chose utile que ses enfants avaient importée de Winchester.