Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/151

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sont impropres à l’épopée, sur ce fondement que le merveilleux y manque. Il est évident que l’on a confondu ici l’apparence des choses avec la réalité. L’épopée, sans doute, doit être pleine de Dieu ; on ne peut y faire un pas sans y sentir la présence céleste. Mais en quoi la scolastique s’abusait, c’était de croire que cette présence réelle dût nécessairement se manifester, comme chez les anciens, par un personnage palpable, tel qu’un Mercure, un Griffon, ou une idéalité, que l’on appelait la renommée, la discorde, etc. On retombait ainsi dans une idolâtrie morte. Ce n’est pas l’idole, mais le dieu, dont l’épopée a besoin. Ce n’est pas la présence divine sous la forme d’une personnalité détruite que je cherche dans votre poëme désert. Ce que je demande, c’est que les faits se passent au sein de la pensée divine, que cette pensée soit, pour ainsi dire, le lieu des événements. Voilà la première et l’unique loi du merveilleux ; et voilà aussi pourquoi Bossuet est épique, et pourquoi Voltaire a mis le drame à la place de l’épopée. Une seconde conséquence, qui se déduit de cette première, est celle-ci. Si les événements qui font le sujet de l’épopée se passent au sein de l’intelligence divine, il en résulte que ces événements eux-mêmes doivent être éclairés de sa lumière ; c’est-à-dire que le personnage épique doit apparaître très-différent du personnage dramatique. Le même personnage, conçu sous ces deux points de vue, s’exprimerait encore fort différemment, dans des circonstances d’ailleurs semblables. Dans le drame, l’homme apparaît sous le point de vue exclusivement humain. Il est en proie à toutes les incertitudes de la réalité terrestre ; il s’agite dans les limites étroites du temps et de l’histoire, et plus le poëte se plongera avec lui dans ces obscurités, plus aussi il approchera de son but. Tout autre est le personnage épique ; il a franchi l’histoire, il appartient à une région plus haute ; c’est ce que les anciens exprimaient en l’appelant un demi-dieu. L’idée nous reste, le mot nous manque. Le héros est entré dans le domaine des choses immuables ; il a un pied sur l’Olympe ; il est sur le seuil