Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/293

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Les femmes sur les murs debout, avant l’aurore,
Comptent l’heure en disant : reviendront-ils encore ?
Mais voilà qu’à leur place, au loin, sur le chemin,
De pâles cavaliers arrivent par essaim.
Ils parlent l’un à l’autre une langue inconnue.
Nul ne sait leur pays ; et leur épée est nue ;
Elle est ensanglantée ; et d’orageux climats
Aux crins de leurs chevaux ont pendu leur frimas.
Malheur ! Ils sont entrés, comme fait la tempête,
Sous le toit des héros, sans incliner la tête.
Ils ont foulé sans peur le banc et l’escalier ;
Sans peur, ils ont souillé la porte et le foyer ;
Sans peur, ils ont aussi vidé jusqu’à la lie
Toute coupe d’orgueil sur la table remplie.
Malheur ! Malheur ! Ils ont rompu le pain des morts.
Ils ont rompu le glaive et la lance des forts.
Pour ombrager leur tête, ils ont cueilli sans gloire,
Sur l’arbre des héros, un rameau de victoire ;
Et, voyant sur son banc la veuve tout en deuil,
Ils ont ri de la tombe et moqué le cercueil.
Malheur ! Malheur ! Malheur ! Voilà qu’un grand royaume
Se sèche sous leurs pieds ainsi qu’un brin de chaume.
Sur l’argile et le roc, sur le mont, le ravin,
Sur les prés odorants, sur le sable et l’airain,
Sur la rive et le flot, sur l’herbe, sur sa tige,
Les pas de l’étranger ont laissé leur vestige !
Demain l’herbe croîtra ; demain le flot plus pur
Oubliera son limon dans son lit tout d’azur ;