Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/77

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en nous-mêmes, de ces mondes à demi nés qui rampaient sans relâche sur nos pensées d’hier, de cette parole sur nos lèvres depuis mille ans, de cette soif de vie, de cette ombre d’océan qui tarissaient sur nos chevets, de ce fantôme de Dieu qui nous versait les songes à pleins bords, de ces langes de lumière qui n’étaient ni la vie, ni la mort, ni le jour, ni la nuit, et de ces serpents qui couvaient sous leurs ailes fétides le spectre de l’univers éclos dans nos rêves ?



Une Géante.

Vous souvient-il aussi d’un soupir confus qui sortait des abîmes et que tout être répétait ? Vous souvient-il d’une goutte de sang qui pendait de la voûte, et qui gémissait en tombant dans un lac invisible ? Ce rêve nous présage pour notre veille une éternelle douleur. Plût à Dieu que nous puissions retourner dans notre sommeil, et n’en plus jamais passer le seuil ! Chœur Des Géants Et Des Titans.

Courage, compagnons, mettons-nous tous à l’ouvrage ; faisons-nous des villes souterraines. Pendant que le limon est humide, pétrissons les rochers au fond de leurs lits. Foulons aux pieds les fougères plus hautes que les palmiers ; écrasons sous nos pas les crocodiles de cent coudées qui se vautrent sous des forêts de joncs. Mêlons à l’argile des marbres la fleur des fougères, à la fleur l’écorce du palmier, au palmier la mâchoire du serpent, le bec de l’aigle, l’écaille du poisson avec les dents de l’éléphant. Broyons le limon entre nos mains, étendons l’ardoise sur sa couche.

Courage, l’ouvrage monte comme un mur. Sur les troncs des forêts s’amassent les carcasses des monstres échoués sur la grève. Que nos pensées géantes s’élèvent avec le roc et s’inscrivent sur ses flancs. Runes, hiéroglyphes, lettres de porphyre, de jaspe bigarré et de