Jamais il ne s’est arrêté sous les arbres à encens,
ni sous les arbres à gomme. Pourquoi ne nous
a-t-il pas laissés dans l’Arabie ? Pourquoi
ne nous a-t-il pas laissés sur l’herbe des
oasis ? Voilà qu’il nous a semés, près du Nil,
comme les œufs de l’autruche, sur un rivage
de limon où la première tempête nous brisera.
Le fleuve traîne au fond de son gouffre des
spectres livides ; la vallée se creuse sous
nos pieds comme un tombeau ; l’ibis ploie sa
tête sous son cou, et s’endort au sommet
comme un hiéroglyphe de mort. Ce pays est plein
de pressentiments funèbres.
L’Ibis.
Si vous saviez où vous mène votre longue route,
plutôt que de la commencer, vous vous arrêteriez
sur le seuil. Nés d’hier, n’avez-vous pas peur
de vous livrer plus avant à la vie ?
Troisième Tribu.
Oui, déjà nous sommes fatigués de notre tâche.
C’est assez pour nous d’un seul jour de vie.
En sortant du néant, le soleil de l’orient nous
éblouit et nous lasse. Comme des oiseaux de
nuit surpris tout à coup au grand jour,
chancelants, hébétés, nous hésitons à te
suivre. Plutôt que de dépasser le seuil de
notre vie, ramène-nous dans l’obscurité d’où
nous sortons. Ah ! Donne-nous, donne-nous
tes ailes pour rentrer plus vite dans l’éternelle
nuit.
L’Ibis.
Construisez-vous d’abord des tombeaux en pyramides
pour vous enfermer tous, comme le ver a sa conque ;
vous vous endormirez à leur ombre ; je me
poserai au faîte, comme le hibou dans la nuit
se perche sur la tente de l’arabe. Je t’éveillerai
quand il sera temps