Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/124

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et à tâcher de me distraire un peu. Elle ne veut pas surtout que je me croie obligé de subir les visites qu’elle reçoit chaque jour, l’après-midi.

Aussi, lorsque le temps est supportable, sortons-nous, ma mère et moi, à cette heure-là. Il n’y a guère, à Clessy-le-Grandval, que deux promenades à faire et il faut choisir l’une ou l’autre. Ma mère ni moi n’avons de préférence pour l’une des deux, et nous nous décidons indifféremment pour la « Grande Côte » ou pour le Canal. La « Grande Côte » est une belle route qui sort de Clessy par une magnifique allée de platanes et qui aboutit à une montée assez rude d’où l’on découvre le panorama de la ville que reproduisent le plus volontiers les cartes postales. Quant au Canal, il ressemble à tous les canaux. Il est bordé d’arbres et traversé par des ponts de pierre en dos d’âne. L’une de ses rives est fréquentée par les voitures, l’autre est un simple chemin de halage. La marche est assez agréable, le long de cette eau miroitante et plate. Parfois, un gros chaland, tiré à la corde par des hommes courbés ou par un vieux cheval, y avance doucement. Sa panse ventrue frôle l’herbe du bord. Quand il passe, il laisse derrière lui une odeur de cuisine et de goudron. Telles sont nos promenades journalières, à ma mère et à moi. Parfois nous nous asseyons quelques instants sur un talus de la route ou sur le parapet d’un pont. Nous restons ainsi sans parler. Le plaisir d’être ensemble nous suffit. Puis, après nous être reposés, nous reprenons le chemin de Clessy, et ma