Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/128

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chais à cet instant de toute vie où lui est offerte la chance unique de réaliser son plus profond désir. Nous attendons tous cette minute où la face de l’Amour se tourne vers nous. Et c’est dans une parfaite inconscience de ce qui allait arriver que je suis sorti de chez moi. J’ai pris une rue après une autre, j’ai flâné, en pensant à n’importe quoi. C’est ainsi que je me suis dirigé vers le quai Malaquais pour aller dire adieu à Antoine Hurtin. Et toutes les choses étaient dans leur ordre accoutumé. L’eau coulait comme d’habitude entre les berges. Les vieux murs sculptés du Louvre se dressaient. Luc, le portier de Mme Bruvannes, avait sa casquette ordinaire. La cour de l’hôtel présentait son aspect accoutumé. Le timbre annonça ma venue. Comme j’étais en avance, j’ai demandé d’abord à voir Mme Bruvannes.

En pénétrant dans le salon, je n’ai rien ressenti de particulier. Sur le canapé, à côté de Mme Bruvannes, une jeune femme était assise, avec qui Mme Bruvannes causait avec animation. Évidemment, ma présence les dérangeait un peu. Mme Bruvannes m’a tendu la main et m’a nommé à l’inconnue. Mme de Lérins m’a salué aimablement. Son aspect ne m’a causé aucune émotion. Je prenais peu de part à la conversation et je cherchais une occasion de me retirer et de monter chez Antoine. Néanmoins, j’ai compris vaguement que Mme Bruvannes n’avait pas vu cette personne depuis plusieurs années, qu’elle venait de faire un assez long séjour en Amérique et qu’elle revenait en France pour s’y fixer. Elle comptait s’installer à Paris, y louer un