Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/139

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était que, physiquement, je vous plaisais beaucoup. Vous ressentiez pour moi un goût sensuel des plus violents et des plus impérieux. Vous aviez l’air de vous conduire en gentilhomme, mais, au fond, vous agissiez comme un trappeur qui s’adjuge, coûte que coûte, une proie désirée. Je ne saurais vous en blâmer, car ces sortes d’enlèvements légaux sont toujours flatteurs pour une femme ; mais je constate le fait, puisque, comme je vous le disais tout à l’heure, nous récapitulons.

Donc, je ne vous reproche rien, mon cher Jérôme. Je tiens seulement à bien définir la nature du lien qui s’est établi entre nous. N’est-ce pas sa nature même, d’ailleurs, qui fait qu’il ait pu se dénouer plus tard sans douleur et sans violence ? Les amours comme les nôtres sont dans des conditions à ne pas durer éternellement, et leur satisfaction même est la cause de leur fragilité. Or, vous pouvez reconnaître que je ne vous ai pas marchandé les privautés auxquelles vous aviez droit. Mais le temps a passé et vous avez constaté que vous y attachiez peu à peu moins de prix. Souvent une union résiste à une dépréciation de cette espèce. Des similitudes de caractères y créent une nouvelle entente qui se substitue insensiblement à la première. Ce ne fut pas notre cas, et nous aurions pu être fort malheureux, si je ne m’étais aperçue à temps du malentendu qui s’introduisait entre nous.

Car c’est moi qui m’en suis rendu compte la première. Certes, je n’avais pas cessé d’être pour vous une femme « possible », mais je n’étais plus « l’indispensable ». J’étais un pis-aller que l’habitude vous rendait tolérable, mais je ne tenais pas dans votre vie la place que vous y eussiez faite volontiers à une personne plus apte que moi à y prendre une part active et efficace. Peut-être eussiez-vous toujours ignoré cette situation si je n’avais