Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/154

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persuasion. Rencontre-t-elle un garçon à sa convenance, elle n’éprouve aucune hésitation et aucun embarras à agréer ses hommages et à lui faire part des sentiments qu’il lui inspire. Ajoutez qu’avec Madeleine on ne demeure pas longtemps sur le terrain des sentiments et qu’elle a vite fait de leur donner une suite rapide. Madeleine est belle et elle n’est pas fâchée de le faire constater avec le moins de réserve possible. Elle aime laisser dans les yeux de ceux qui l’admirent de vives images de sa beauté. Madeleine est ainsi et il faut — sans jeu de mots — la prendre comme elle est. Vous ne la convaincriez, par aucune raison du monde, des inconvénients qu’il peut y avoir à se passer ainsi ses caprices. Vous auriez beau dire, elle ne comprendrait pas et vous regarderait d’un air étonné. Pour elle, ce qui est pour d’autres femmes un acte décisif et quelque peu tragique, est vraiment un acte sans importance qu’on peut renouveler aussi souvent que bon vous semble, avec autant de gens que cela vous plaît. À toutes vos objections, Madeleine vous répondra par un sourire distrait et distingué. Elle vous écoutera avec l’air obstiné et condescendant d’une personne qui se sait dans le vrai, à qui vous contez des balivernes, et à qui vous débitez des absurdités.

Ah ! c’est une curieuse fille que Madeleine de Jersainville et je n’ai jamais rencontré un être dépourvu plus qu’elle de toute morale et de tout préjugé. Elle n’est que nature et instinct, et le sien la porte à faire l’amour avec une singulière fréquence. Sa pudeur est des plus limitées. Elle vous raconte des choses énormes en trempant ses tartines dans son thé. Elle se promène à travers la maison plus qu’à moitié nue et sans se soucier des rencontres. Avec cela, la personne la plus douce, la plus gentille, la plus affectueuse qui se puisse voir ! Elle est