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À M. Jérôme Cartier, Burlingame.
San Francisco (États-Unis).

Hôtel Manfred, rue Lord-Byron.

Paris, le 26 décembre.

Mon cher Jérôme,

Vous allez vous moquer de moi en recevant cette lettre. Oui, je suis toujours à l’hôtel Manfred. J’y occupe une chambre où j’ai à peine la place de me retourner, à cause des malles qui l’encombrent, car je n’ai pas encore retenu l’appartement dont je vous parlais. Ne croyez pas, pourtant, que mon séjour prolongé dans ce Family Hôtel ait quelque raison sentimentale, pour ne pas dire plus. Ne supposez pas que je suive l’exemple de mon amie Madeleine et que je sois éprise de quelque Adonis de table d’hôte. Non, mon cher Jérôme, rien de tout cela ne m’est arrivé et, si mon cœur a battu, ce n’est pas pour quelque beau cavalier. C’est Paris qui est le coupable. Il a bien des charmes, et ce sont eux qui m’ont occupée jusqu’à présent.

Oui, mon cher ami, depuis plus d’un mois que je suis ici, je suis en coquetterie avec Paris, et j’avoue que je suis ravie de ce flirt. Ne vous en étonnez pas trop. Sans nous connaître, Paris et moi étions déjà de vieux amis. Bien souvent, quand vous étiez à votre office de Market Street et que je demeurais seule à Burlingame, je sortais de la bibliothèque le plan de ce Paris qui était pour moi une ville à demi fabuleuse. Je l’étalais sous mes yeux et je le regardais longtemps. Du doigt, je suivais ses rues principales, ses avenues, ses boulevards. Je m’arrêtais aux places. Je cherchais ses monuments les