Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

beaux conciliabules que tout cela avait dû produire sur la conduite à tenir avec moi ! Aussi je ne vous cacherai pas que la réponse à ma lettre se fit quelque peu attendre. Elle vint cependant. Elle était un modèle de prudence et d’ambiguïté. Le point principal, naturellement, n’y était pas traité. Néanmoins, après des préambules infinis et nombre de considérations générales, j’y étais invitée à venir voir ma tante au parloir.

Pour m’y rendre, je fis une toilette qui était un chef-d’œuvre de bon goût. Cela tenait le milieu entre la veuve et la jeune fille, avec un rien de la dame d’un certain âge. J’avais loué, pour l’occasion, au lieu d’un humble fiacre, un bon coupé à un cheval. À l’heure dite, ce véhicule confortable et modeste s’arrêtait devant la porte du couvent de Sainte-Dorothée. Je pris grand soin de mettre la semelle au marchepied avec une sage lenteur, sous l’œil observateur de la sœur tourière, qui me considérait curieusement et à laquelle j’adressai le petit bonjour d’usage. Puis je traversai posément la grande cour dallée. À la porterie, je fis mon billet. De là, on me conduisit au grand parloir. Il était vide et je vous avoue que je préférais qu’il en fût ainsi, car je n’ai pas revu sans quelque émotion les boiseries grises et les fauteuils de reps vert qui ornent cette vaste pièce. À ces souvenirs du passé, se joignit, mon cher Jérôme, une rapide pensée à votre adresse. C’était là que vous m’aviez fait l’honneur de me remarquer ! Mais je n’eus pas le loisir de m’attendrir longtemps. À un bruit lointain sur le parquet ciré, je reconnus le pas traînant de ma tante de Brégin, en religion mère Sainte-Véronique. Je me levai et j’allai au-devant d’elle. Le moment était délicat ; il ne fallait mettre dans cette avance ni trop d’empressement, ni trop de lenteur. La mère Véronique est attentive aux plus petites choses et, comme