Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/183

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avouées ? Au fond, j’aurais dû, d’avance, savoir à quoi m’en tenir… Qu’est-ce, aux yeux d’une duchesse de Pornic-Lurvoix, qu’un mariage avec un sieur Cartier, domicilié en Amérique ? Quelle importance cela pouvait-il bien avoir que je vécusse ou non avec ce monsieur ? Quant à mon divorce, il avait eu au moins l’avantage de me faire cesser d’être Mme  Jérôme Cartier et de me faire redevenir Laure de Lérins. Ce dernier point était l’essentiel. J’avais enfin retrouvé un nom convenable, agréable à porter. J’étais dorénavant une personne que l’on pouvait sans inconvénients nommer dans un salon aristocratique. Cela valait tout de même mieux que d’être restée Mme  Jérôme Cartier. En somme, la reprise de possession de mon nom d’autrefois m’assurait la bienveillante protection de la duchesse. Elle me laissa entendre que, si j’étais docile et complaisante, je pourrais très bien être utilisable dans quelque ouvroir sérieux et admise à participer à quelques ventes de charité bien composées. Certes, elle ne me voyait pas encore dame patronnesse ou chef de comptoir, mais je ferais une bien gentille auxiliaire !

Ce fut sur ces assurances que je quittai la duchesse. En somme, l’entrevue a donné un résultat fort appréciable. J’ai pour ainsi dire repris existence aux yeux de la duchesse. Ah ! je suis encore très peu de chose, un embryon, une poussière, mais je suis, ce qui est beaucoup et que ne pouvait pas être, mon cher Jérôme, Mme  Cartier ! Aussi, ne manquai-je pas, en prenant congé de la duchesse, de lui marquer ma reconnaissance. Elle parut aise du procédé et m’en sut gré au point qu’elle m’entretint encore un bon quart d’heure de coliques sèches qu’elle avait eues la nuit d’avant. Décidément, je faisais des progrès dans sa familiarité et je crus qu’elle ne me laisserait pas partir sans me présenter