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ser des faits tout à votre honneur, mais je n’ai guère le goût des confidences, même des confidences rétrospectives. D’ailleurs, je vous le répète, je compte n’entretenir avec les personnes que je vous ai énumérées que des relations d’utilité et de simple politesse.

Ne concluez pas, cependant, de là, mon cher Jérôme, que j’aie l’intention de vivre à Paris dans une complète solitude de cœur. Je sais bien qu’à cette solitude je suis quelque peu accoutumée et que cette accoutumance me vient de vous. Durant les années que nous avons passées ensemble, j’ai perdu l’habitude de m’épancher. Vous étiez un homme occupé et, de vos occupations, je n’étais pas tout à fait, convenez-en, la principale. J’ai donc pris l’habitude de vivre beaucoup seule. Vous vous souvenez de mes longues heures de retraite dans la bibliothèque de Burlingame. Ce régime, en somme, ne me déplaisait pas trop. Néanmoins, il n’y a pas de raisons pour que je le continue indéfiniment. Maintenant que j’habite Paris, je n’ai pas renoncé à m’y faire des amis.

Vous me direz que j’ai Madeleine de Jersainville comme première mise de jeu. Certes, comme je vous l’ai déjà écrit, j’aime beaucoup Madeleine. C’est une bonne fille. Il y a en elle bien des choses qui me plaisent : sa gentillesse, sa simplicité, sa franchise ; mais il y a aussi certaines poussées de sa nature qui m’épouvantent un peu et que sa franchise même rend plus redoutables encore. Madeleine a en moi une confiance gênante et je regrette, à vous dire vrai, qu’elle m’ait mise, avec tant de naïveté, au courant de ses déportements. J’en éprouve auprès d’elle un certain malaise que je ne ressentirais pas autrement. Que j’eusse appris que Madeleine eût des amants, cela ne m’eût été nullement désagréable. D’abord, j’aurais pu le croire ou ne le pas croire, à mon gré. J’aurais pu accuser la mali-