Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/195

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mes faits et gestes, vous seriez encore très capable, j’en suis certaine, d’être quelque peu jaloux de moi. J’espère même que vous l’êtes et je trouverais humiliant que vous ne le fussiez pas. Ce serait la preuve que vous n’auriez pas conservé de moi le genre de souvenir que je prétends tout de même vous avoir laissé. Ma vanité féminine s’en offenserait. Rassurez-vous, cependant, je ne souhaite pas que votre jalousie vous tourmente et vous cause le moindre chagrin. Je veux seulement qu’elle vous donne à mon sujet une pointe d’inquiétude et de mauvaise humeur. Je veux qu’elle ravive en vous mon souvenir. C’est un hommage que je réclame de vous et non un châtiment que je prétends vous imposer. Aussi ne serais-je pas fâchée que vous prissiez quelque ombrage de ce Julien Delbray.

N’allez pas cependant supposer que M. Julien Delbray ait conquis subitement une place importante dans ma vie et que mon cœur soit le moins du monde intéressé en cette affaire. Non, M. Delbray me semble simplement en train de devenir ce compagnon amical souhaité, dont l’absence constituait une lacune dans mon existence. Rien de plus, du moins pour le moment. Tout ce que je puis vous dire, c’est que M. Delbray me semble présenter quelques-unes des qualités requises d’un très agréable ami et d’un très gentil camarade. J’ajoute qu’il y a toutes les chances du monde pour que nous en restions là, de part et d’autre. De cela, j’ai des indices que je veux bien vous communiquer.

Revenons-en donc à ce déjeuner du mois de janvier auquel je faisais allusion à la fin de ma dernière lettre. C’était un de ces matins où, comme je vous l’ai déjà écrit, j’étais véritablement ivre de ma liberté parisienne. Ce déjeuner, en garçon, seule au restaurant, m’apparaissait comme un délicieux exploit. Ainsi animée,