Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/217

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là-dessus, non par moi-même, mais par mon amie Madeleine de Jersainville, qui ne manque ni une soirée, ni un bal, ni un rendez-vous, car, malgré ses occupations, elle trouve encore, vous pensez bien, le temps d’aimer.

Cette Madeleine, je l’ai vue assez souvent, ces semaines-ci ! Jamais elle n’a été plus jolie et la vie qu’elle mène lui va à ravir. Ah ! en voilà une qui est douée pour le plaisir, pour tous les plaisirs ! Elle n’est guère compliquée, cette chère Madeleine, et elle ne se tracasse pas inutilement. Elle accepte l’existence comme elle est et va où son instinct la conduit, avec une droiture extraordinaire dans la frivolité et une merveilleuse franchise dans l’impudeur. Elle est vraiment naïve et spontanée. Rien ne l’entrave, rien ne l’arrête. Quant à Jersainville, il n’est guère gênant pour le moment. Il est dans une maison de santé, à Neuilly, où il fait une petite cure de privation d’opium. De temps à autre, il se livre à cet exercice salutaire. Ne pensez pas, cependant, que Jersainville souhaite de guérir. S’il se désintoxique momentanément, c’est pour se préparer à ce qu’il appelle « les grandes fumeries d’automne ». Il se ménage pour l’époque où il sera aux Guérets. Là, il retrouvera avec un nouveau plaisir son cabinet peint de singes médecins, de chinoiseries et de turqueries, ses magots et ses pachas, son ottomane et ses pipes, ses chères pipes. Et alors il fumera, il fumera éperdument, tandis que Madeleine, tranquille et souriante, boira du lait, se lèvera tard, se couchera tôt, sans plus penser à faire l’amour que si elle ne l’eût jamais fait !…

Mais j’ai beau divaguer et déraisonner, mon cher Jérôme, ces façons ne vous tromperont pas. Vous sentez bien que ces détours cachent une certaine envie de vous parler de moi, et mes petits subterfuges sont vains. Cependant, ce que j’ai à vous dire n’est guère à mon