Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/275

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plonge dans une vague torpeur, m’hypnotise dans une pensée toujours la même. Il me semble que cette aile vibrante s’agite dans ma propre cervelle et je reste là, inerte, anéanti, stupide.

Il y a, en amour, de ces moments de prostration où le ressort de l’âme se relâche, se détend, où l’on voudrait ne plus songer à rien, où l’on accepterait les distractions les plus saugrenues. Instants de veulerie, de paresse, de lassitude, de découragement, où le but à atteindre vous paraît trop difficile, trop incertain. On voudrait trouver des prétextes de renoncement. On se dit que l’on a eu tort d’espérer. On voudrait se terrer dans quelque coin, perdre conscience de soi-même, devenir une chose insensible. Oh ! être cette aile de métal qui s’étourdit de sa vibration ou cette antique jarre d’argile qui, dans la cour du musée, se craquelait lourdement au soleil....

Ce ne sont pas seulement de tels souhaits qu’ils nous suggèrent, ces moments de cruelle dépression sentimentale. Ils nous donnent des conseils plus perfides et plus dangereux. Et si, une fois le but atteint, une fois notre vœu réalisé, nous nous apercevions que ce n’était pas là où nous devait conduire notre véritable destinée ! Si nous découvrions alors, tout à coup, que nous avons fait fausse route, que nous n’avons suivi que le plus décevant des mirages, que nous avons laissé la proie pour l’ombre !

Et soudain, vivement, inopinément, j’ai repensé à Madeleine de Jersainville. Pourquoi donc ai-je