Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/293

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terrasse, avec son parapet de vieille pierre, avec son parfum de fleurs tristes, m’apparaissait comme le tombeau de mon amour et de mon espoir, et je murmurai, la tête basse :

— Ah ! Laure, Laure ! !…

Elle me répondit par un rire. J’aurais dû souffrir davantage, mais il me semblait que ce rire n’avait rien d’offensant ni d’hostile :

— Ne vous désolez donc pas ainsi, mon pauvre Delbray. Laissez-moi finir. Ah ! Voilà bien les hommes ! Quand ils aiment et qu’ils nous ont fait l’honneur de nous le dire, ils ne peuvent pas supporter que l’on ne leur tombe pas tout de suite dans les bras. Attendez donc un peu avant de vous lamenter. Si je ne vous aime pas, au sens où vous l’entendez, rien ne prouve que je ne change pas d’avis un jour.

Elle réprima d’un geste le cri de joie qui allait m’échapper et reprit gravement :

— L’amour, mon ami, est un sentiment singulier et ses façons sont diverses. Tantôt il naît, avec toutes ses forces, tantôt il ne les acquiert que lentement. Pourquoi, Julien, la sympathie que j’ai pour vous ne deviendrait-elle pas de l’amour véritable ? Ne comprenez-vous pas que c’est en cette pensée que j’ai accepté l’invitation de Mme Bruvannes, que j’ai souhaité de vivre auprès de vous dans une intimité quotidienne ? N’est-ce pas parce que mon amitié pour vous m’a paru susceptible de devenir un sentiment plus vif que j’ai voulu vous donner des chances d’opérer en moi cette transfor-