Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/305

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Nous avions quitté Malte par un très beau temps et nous étions déjà à plus de mi-chemin de Candie, quand nous avons été assaillis par un coup de vent d’une extrême violence. Cela s’est déclaré subitement. Vers neuf heures du soir, la mer est devenue brusquement très mauvaise et l’Amphisbène a commencé à subir un fort roulis. Mme Bruvannes, les Subagny et Gernon n’y ont pas résisté longtemps et ont regagné en toute hâte leurs cabines. Antoine n’a pas tardé à les suivre et Mme de Lérins s’est retirée également avec un peu de migraine. Comme il ventait d’une façon assez désagréable, je suis descendu aussi me coucher. J’étais dans mon lit, tâchant de m’endormir, quand je m’aperçus que le roulis augmentait considérablement. À ce moment, on est venu fermer les obturateurs des hublots. Décidément, la nuit s’annonçait mal. De lourds paquets d’eau déferlaient, le vent ronflait avec fureur ; je tâchai en vain de m’endormir. Bientôt le vacarme redoubla. C’était une véritable tempête qui se déchaînait. Les meubles entrèrent en danse. Deux chaises se mirent à valser au milieu de ma cabine. Un des tiroirs de ma commode, que j’avais oublié de fermer, dégringola sur le tapis, éparpillant les mouchoirs et les chaussettes. L’Amphisbène devenait une sorte de maison hantée, pleine de gémissements bizarres et de bruits étranges.

J’ai voulu voir comment Antoine supportait ce branle-bas, et je me suis dirigé, non sans peine, vers la cabine qu’il occupe. Il était couché dans son lit, un livre à la main, mais il faisait assez piteuse