Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/149

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que l’eau semblait se moduler et s’apparenter à l’hydrophonie des instruments. Le silence où l’on se croit quand on dort avait tressailli, animé de murmures inexplicables ; toute la mélancolie du passé et la transe de l’avenir s’étaient chuchotées à la dormeuse et, sans voix qui en formulât le sens, par allusion, tout y disait le départ d’Hermotime et les issues dangereuses où se fourvoient les destinées.

Hertulie, assise en sursaut, regardait, encore couchée, la chambre où elle avait dormi. Le soleil rosait les tulles de la fenêtre et les rideaux du lit emmousseliné, comme en suspens de toute leur légèreté immobile. Ce lit imitait la forme d’une barque et les cygnes de cuivre qui l’ornaient aux angles paraissaient vraiment de l’or dans la matinale lumière. Leurs ailes doucement éployées entraînaient la nef nocturne sur le fleuve imaginaire du tapis où des arabesques s’étiraient en algues langoureuses et compliquées. De grandes rosaces y gyraient leurs remous çà et là.

Du dehors s’entendaient des voix sonores et fraîches ; c’était le bruit d’un marché en face de la maison. On y vendait des fleurs, des herbages, des fruits exorbitants, des légumes rares ou de