Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/202

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coalisé des espoirs, dissous des rancunes ; mon sceau charge le bas des traités ; chacun d’eux ajoutait à ma richesse une dotation ou une tabatière, un domaine ou un brimborion.

Riche, puissant et victorieux, j’eus l’amour. Dans des chambres de miroirs j’ai renversé sur des coussins des beautés célèbres. Elles arrivaient, furtives ou impudentes, s’offrir ou se livrer ; leurs baisers étaient un gage ou un salaire. L’altesse et l’intrigante y apportèrent leur caprice ou leur calcul. Les glaces reflétaient à l’infini les postures de ma victoire dans les facettes de ma vanité. Des lèvres merveilleuses satisfirent mes plus vils désirs.

J’ai essayé de vivre dans ces mensonges, d’en jouir et de m’en contenter, mais un jour je compris la duperie de mon illusion, quand je la voulus revivre en cette solitude préparatoire où l’être se résume et soupèse déjà sa propre cendre.

Hélas, mon fils, pendant les vingt années de ma retraite en ce solitaire château, je n’ai rien retrouvé en moi-même de tout cela où je m’étais cru tout entier. Ah ! mes pensées étaient ailleurs ! Autour de moi les choses continuaient la con-