Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/252

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jardin où nous errions. C’était une ancienne grève fluviale ou marine. De petites tortues à écaille jaune et noire s’y promenaient. Il y poussait des citronniers nains. Leurs fruits étaient charnus, acides avec un arrière-goût d’amertume.

Le visage d’Eurydice fut d’une singulière beauté. Il est dans tous les miroirs de mes songes ; c’est dans les vôtres qu’il faut la regarder, car elle est en chacun de nous l’éternelle taciturne, la secrète accoudée !

Nous avons souvent ensemble contemplé le crépuscule, Eurydice et moi. À cette heure-là, son nom résonnait plus doucement, plus mélodieusement. Les syllabes en étaient le choc d’un cristal limpide et nocturne : une fontaine dans un bois de cyprès. C’était l’heure où son nom vibrait le plus mélancoliquement. Quelquefois elle parlait. La lenteur douce de sa voix semblait s’éloigner à la distance d’un songe. Sa voix devenait très basse, comme assourdie et perdue au dédale de soi-même d’où elle revenait peu à peu à son ordinaire douceur.

Elle parlait volontiers d’eaux et de fleurs, souvent des miroirs et de ce qu’on y voit de ce