Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/253

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qu’on n’est pas. Nous composions aussi de singulières demeures, chambres ou palais. Nous en déduisions les possibles jardins. Elle les imaginait charmants et mélancoliques. Il y en eut un avec des porphyres que le temps semble avoir guéris du sang qu’ils ont saigné, des marbres, des allées d’une géométrie pathétique, des pelouses où les jets d’eau pavonnent et semblent rouer au soleil.


*


Un soir, je me souviens, et ce fut un des derniers où je la vis, elle me parla des paons. Elle les haïssait et jamais elle n’avait voulu en supporter la présence dans ces lieux de paix et de silence où nous vécûmes si inexplicablement. Ce soir-là, je lui rappelai, alors, notre rencontre et la morne rivière où ma barque avait croisé la sienne. Elle y était seule. Elle pleurait. A la proue, un paon était perché qui mirait dans l’eau sa tête et son col et dont la queue emplissait toute la barque de sa profusion éblouissante. La triste et pâle voyageuse était assise parmi ces plumes. Les plus longues traînaient dans l’eau à l’arrière.