Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/263

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curiosité singulière me portait à interpeller cette survenante. Il me semblait que je n’aurais qu’à me ressouvenir pour entendre ce qu’elle me dirait. Nos Destins avaient dû se toucher leurs lèvres et leurs mains avant de se séparer pour quelque circuit inverse où ils se rencontraient enfin de nouveau à un point de leur durée. Ils étaient la moitié l’un de l’autre et ma tristesse ne pouvait être que l’entente de son silence.

Oui, mon fils, continua Hermogène, elle m’a parlé. Elle m’a dit comment elle avait quitté la ville. La vie qu’on y menait était bavarde, emphatique et frivole ; le sommeil inutile. La veille n’y fructifiait pas en lendemain et chaque jour périssaient ses fleurs passagères. Cette ville était immense et populeuse. Ses rues innombrables s’entre-croisaient en mille détours, et toutes aboutissaient, par quelques-unes où elles se dégorgeaient, à une vaste place centrale pavée de marbre. Les arbres odorants poussaient çà et là entre les dalles disjointes et y sculptaient une ombre délicieuse ; des eaux fraîches y jaillissaient parmi le silence moite dans un air cristallin. Mais cette place était déserte toujours : il était défendu de s’y arrêter et même de la traverser.