Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/265

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je redisais aussi comme l’Etrangère : Quittons la ville, quittons la vie frivole et vaine...

Elle l’avait quittée un matin, lasse d’errer parmi la cohue composite et uniforme, parmi la poussière des sandales et la sueur des visages. Elle croisa sous la poterne ceux qui venaient du dehors accroître le nombre des vivants d’ici et, quand elle eut dépassé les murs, elle entendit, sur un arbre, un oiseau qui chantait. L’orgueil d’être seule l’exaltait et elle se sentait grandir à mesure qu’elle s’isolait.

Sa robe frôlait des fleurs, tandis que, par des chemins charmants, elle descendait vers la mer. Des grèves la bordaient, roses sous l’aurore, qui fondirent d’or à midi et devinrent violettes au crépuscule. Ah crépuscule sur la première journée de songe ! Son ombre sur le sable lui disait qu’elle était seule et que le reste d’elle-même n’était plus à ses pieds qu’un fantôme, et ce fut à son ombre qu’elle sacrifia vers le soir, jetées à la mer, les pierreries de son collier qui tintaient entre elles plus mélodieuses que des larmes. Son collier était composé de trois sortes de pierres, toutes se valaient et l’ensemble était inestimable. Il y eut, toute la