Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en fussent plutôt le signe que la matière. J’y joins des fleurs çà et là. Elles n’ont d’autres sens qu’elles-mêmes ; je les en aime mieux. J’ai aussi sur des socles quelques verreries cristallines et fatidiques. Un vase ne suffit-il pas à évoquer toutes les sources où l’on n’a pas bu ainsi que je vois aux vitres le dessin en arabesques de gel des grèves où je n’ai pas abordé et des forêts où je ne me suis pas perdu.

J’ai aussi au mur ce portrait. Il est, sous un air d’emblème et de songe, la figure d’un Destin. C’est en lui que j’ai vu le plus profondément en moi-même. C’est lui qui m’a averti de moi et c’est à l’éloquence de sa tristesse que j’ai appris la leçon de ma solitude. Sa voix en a animé le silence : ses mains en ont fermé les portes avec des clefs invisibles. Elles sont sous la sauvegarde de son geste armé et de ses yeux péremptoires. Regardez-le comme je l’ai regardé et puisse-t-il vous parler comme il me parla. Il est taciturne mais il n’est pas muet, car les portraits parlent et, s’ils ne s’expriment pas par leurs lèvres peintes, on ne les entend pas moins. Ils sont, sur un miroir que façonne le cadre autour du verre où ils se reflètent, la durée de quel-