Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/301

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le bruit du vantail que, l’escalier dégringolé, comme un fou, je refermai derrière moi. Il me parut que la maison au choc s’écroulait en décombres à jamais, que rien n’existait plus que cette passante qui marchait dans la rue déserte, se retourna et me sourit.

Son regard était comme la lame des épées, sa voix comme le bruit profond des coquilles de la mer. Parfois elle riait, d’un petit rire. Sa beauté nue était la statue de l’amour ; sa chair semblait comme debout sur une aube éternelle. Nous allions de ville en ville ; avec elle j’ai marché dans les blés ; je me suis baigné dans des lacs glacés et des rivières tièdes. Il y eut de grands orages qui déchiraient le ciel d’éclairs comme si sa chevelure surchauffée et sulfureuse exaspérait la congestion des nues et déterminait leur crise.

Son sourire fit toute la beauté du printemps. Elle me brûla des étreintes de l’été et me corroda des rouilles de l’automne.

Par elle j’ai connu toutes les douceurs et toutes les souffrances. Elle fut le chant de mes lèvres, la ride de mon front, la plaie de ma poitrine, elle fut ma vie.