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LES ROSEAUX DE LA FLUTE

Qui la fera s’ouvrir ainsi que pour une ombre ;
Mais je prendrai la lampe et par l’escalier sombre
Nous monterons tous deux en nous tenant la main ;
Puis, dans la chambre vaste où le songe divin
T’a ramené des bords du royaume oublieux,
Nous nous tiendrons debout, face à face, joyeux
De l’étrange douceur de rejoindre nos lèvres,
voyageur venu des roseaux de la grève
Que ne réveille pas l’aurore ni le vent !
Je t’ai tant aimé mort que tu seras vivant
Et j’aurai soin, n’ayant plus d’espoir ni d’attente,
De vider la clepsydre et d’éteindre la lampe.

— Laisse brûler la lampe et pleurer la clepsydre
Car le jardin autour de notre maison vide
Se fleurira de jeunes fleurs sans que reviennent
Mes lèvres pour reboire encore à la fontaine ;
Les baisers pour jamais meurent avec les bouches.
Laisse la figue mûre et les olives rousses ;
Hélas ! les fruits sont bons aux lèvres qui sont chair,
Mais j’habite un royaume au delà de la Mer
Ténébreuse, et mon corps est cendre sous le marbre.
Je suis une Ombre, et si mon pas lent se hasarde
Au jardin d’autrefois et dans la maison noire
Où tu m’attends du fond de toute ta mémoire,
Tes chers bras ne pourront étreindre mon fantôme :