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LA DOUBLE MAÎTRESSE

les secrets de sa mémoire. Non, Monsieur, ce que j’attends de vous est tout autre. Vous me complimentez de ce qu’à l’encontre des héritiers ordinaires je n’eus aucun regret à mêler à un événement qui d’habitude touche plus qu’il n’émeut. Détrompez-vous, Monsieur, et permettez-moi, au contraire, de les envier ; qu’ils sont heureux ! N’ont-ils point été appelés au chevet du moribond ? Ils ont suivi ses obsèques. Ils ont payé le fossoyeur et le sacristain. Ils connaissent la forme exacte de celui qu’ils mènent au tombeau. Ils savent quelque chose de lui ; on les complimente de la perte qu’ils ont faite. Ils retrouvent des lettres au fond d’un tiroir ; ils ont une défroque à vendre aux fripiers, un portrait à mettre au grenier ; mais, moi, mon cas est tout autre, et jugez de sa bizarrerie.

« J’hérite d’un oncle inconnu qui n’a pour moi ni visage, ni membres, ni stature, rien qui puisse m’aider à me le représenter exactement. Et comment diable voulez-vous, si je ne puis me l’imaginer vivant, que je me persuade qu’il est mort ? Son héritage reste, si l’on peut dire, en suspens et je ne puis m’approprier ce qui ne me vient de personne, puisque pour moi M. de Galandot n’est pas quelqu’un. Rien ne me prouve après tout qu’il ait existé réellement. Tout cela n’est-il pas ridicule ? Et encore j’exagère à peine. Tout concourt à entretenir mon ignorance. Son banquier de Rome, un certain M. Dalfi, vient de mourir, qui eût pu me renseigner. Me Lobin qui administre ses terres ne l’avait jamais vu. J’ai su par