Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/428

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« Notre conduite ne laissait pas d’étonner le petit valet qui nous servait. Il ne semblait guère habitué à de pareils convives et il est probable que cela sortait de l’ordinaire du château. Sans doute il voyait d’habitude à ces places M. le curé du village ou quelques hobereaux de l’alentour, comme s’en doit composer la compagnie d’une honnête veuve, retirée aux champs pour y vivre de son bien et plus donner à ses devoirs qu’à ses plaisirs. Les nôtres commençaient à étonner le jeune drôle. Il rougissait et paraissait fort en colère contre sa maîtresse et contre nous. Aussi, quand il vit Créange se permettre une privauté plus particulière, il laissa tout d’un coup tomber une pile d’assiettes qu’il tenait entre ses mains et s’enfuit tout courant.

« Cet incident nous divertit fort. Soudain notre hôtesse se leva et disparut. Nous restâmes ainsi quelque temps sans nous apercevoir que nous étions bel et bien enfermés. Notre surprise fut considérable de nous trouver ainsi dupes et captifs. Tout en pestant, nous nous consolions à penser qu’il en valait peut-être mieux ainsi. Sans doute notre prudente amie avait voulu nous éviter quelque désillusion. Contente de nous avoir mis en des idées agréables, elle craignait sans doute, en leur donnant une suite, de ne les pas réaliser assez bien, et elle avait tenu à nous les laisser intactes. D’ailleurs nous nous rendions compte que l’imprévu entrait pour beaucoup dans l’attrait de l’aventure. Souvent la grâce d’un visage ne survit pas à l’instant fugitif où nous l’avons entrevue sous un aspect éphémère.