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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

ne recevra jamais une blessure pour la souiller. Ah ! ajouta-t-elle, il va être ici tout-à-l’heure : j’entends retentir dans l’air le chant des bateliers français. » Le bon Père aurait été tenté de lui dire qu’elle s’occupait trop d’Eugène ; mais il ne put se résoudre à réprimer les flots d’une joie bien pardonnable au jeune âge, et il se contenta de lui dire en souriant, qu’il espérait qu’après son premier mois de mariage, elle retournerait à ses prières et à ses pratiques de dévotion. Elle ne lui répondit pas ; car en ce moment elle aperçut son époux, et courut à sa rencontre avec la vitesse du chevreuil. Le P. Mesnard les vit, comme ils s’approchaient de la cabane ; le front d’Eugène portait les marques de la tristesse, et quoiqu’il s’égayât un peu aux caresses enfantines de Françoise, ses pas précipités et sa contenance troublée faisait voir clairement qu’il appréhendait quelque malheur. Il laissa Françoise le dévancer. et sans qu’elle s’en aperçut, il fit signe au P. Mesnard, et lui dit : « Mon Père, le danger est proche ; on a conduit hier une prisonnière iroquoise à Montréal, qui a avoué qu’un parti de sa tribu était en campagne pour une expédition secrète. J’ai vu des canots étrangers mouillés dans une anse de l’isle aux Cèdres. Il faut que vous vous rendiez de suite à Montréal, avec Françoise, dans mon bateau. »

« Quoi ! s’écria le Père, pensez-vous que j’abandonnerai mes pauvres ouailles, au moment où les loups viennent pour fondre sur elles ? ”

« Vous ne pourrez les défendre, » mon père, s’écria Eugène.

« Eh bien ! je mourrai avec elles, » répartit le Père.

« Non, mon Père, s’écria Eugène, vous ne serez pas si téméraire : partez, sinon pour vous-même, du moins pour ma pauvre Françoise ; que deviendra-t-elle, si nous sommes tués ? Les iroquois ont juré de se venger d’elle, et ils sont aussi féroces et aussi cruels que des tigres. Partez, je vous en conjure, à chaque instant, la mort s’approche de nous. Les bateliers ont ordre de vous attendre à la Pointe aux Herbes ; prenez votre route par les érables :