Page:Rétif de la Bretone - Le Paysan et la paysane pervertis, vol. 1, 1784.djvu/50

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ment : Chés nous, je croyais que Saci était le Centre du monde, ét que nos Habitans étaient les premiers des Hommes ; VX★★★, NY★★, J, Noy, Aig★★, Lich★★ me paraiſſaient loin comme Paris, ét Paris comme l’Amerique ; mon eſprit étreignait peu, mais il était plûs à moi-même, plûs aux choses qui me-plaisaient ; j’étais plus-important, plus-grand, plus-noble. Que ſuis-je-venu apprendre à la Ville ? helas ! que je n’étais qu’un pauvre paysan, moins que rién ! que Saci, que je trouvais un ſi joli endroit, n’eſt qu’un chetif Village, couvert de chaume ét de lave : j’ai-été-confus d’en-être : auſſi mes Camarades ſ’en-moquent-ils, ét me font-ils une injure du nom de mon pays. À Saci, Nul n’eſt audeſſus de notre bon Père, ét Un-chaqu’un nous defere, à-cause de lui : Ici, je ſuis audeſſous de tout le monde, en-ma qualité d’Élève ét de Paysan ; j’y-connais l’humiliation, le neant. Le neant ! je ſens pourtant que je ſuis fièr, car je ſuis-revolté : mon âme ſe roidit, ét elle rend mepris pour mepris, mais tout-bas. Et on dit que ce n’eſt rièn encore ! qu’il y-a un pays, auprès de qui cette Ville eſt moins que Saci, ét les Premiérs d’ici, moins qu’ils ne me croient ! Que ſerais-je donc moi, dans ce pays-là[1] ? Oh ! je n’y-veus jamais aler ! c’eſt bién-aſſés que je ſois-venu n’être rién dans celui-ci !…

  1. Plûſqu’à Au★★ : plûs la Ville eſt grande, moins les diſtinctions odieuses y-paraiſſent, [L’éditeur.