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AU CREUX DES SILLONS

Il ne restait plus qu’un arpent de terre à défricher. On y avait abattu les arbres depuis deux ans. Cette dernière année on avait fait brûler les branches sèches, on n’avait plus qu’à l’essoucher. C’était un travail que Corriveau voulait faire depuis longtemps, mais il n’avait jamais un moment de répit, tantôt occupé par les semences, tantôt par la fenaison et par la récolte, et enfin empêché par la réclusion des longs hivers.

Cette année il avait décidé de finir ce morceau de terre. Il avait donc convoqué ses voisins à une grande corvée. Profitant de la morte saison, c’est-à-dire, des quelques jours qui s’écoulent entre le temps des foins et celui de la récolte du grain.

Un beau matin de la mi-juillet, une trentaine d’hommes robustes, avec leurs chevaux et leurs outils de défrichement, arrivèrent à la maison de Corriveau. C’étaient les fermiers voisins accompagnés de leurs grands fils. Ce contingent se dirigea vers le champ de souches calcinées. Les chevaux faisaient sonner leurs attelages et les hommes riaient à gorge déployée des plaisanteries faciles qu’ils échangeaient. Ce fut une ruée générale au dernier vestige de la forêt, qui cédait, vaincue devant tant de bras aux muscles saillants. Leur travail était prompt et effectif. On attachait un crochet au moyen d’une chaîne autour de la souche, et on faisait donner aux chevaux un fort coup qui arrachait l’arbre, fouillait le sol et laissait les racines à nu. Ces hommes se regardaient et riaient de se trouver si noirs du charbon de tant de branches carbonisées. Le travail progressait. Corriveau allait des uns aux autres, encourageait, félicitait et distribuait de grandes bolées de bière faite à la maison.

Les voisines s’étaient également réunies pour aider à la préparation du repas de midi. Il fallait un dîner substantiel pour ces hommes qui faisaient un si rude travail. On leur servit donc une bonne soupe grasse aux choux, de gros morceaux de lard blanc comme du lait, des tartes aux pommes enveloppées d’une croûte dorée. On réservait les plats délicats, les viandes fines pour le repas du soir, qui était le banquet du jour, suivi d’une danse.