Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/20

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du côté droit, à demi-lieue loin de là, un gros bataillon d’autres puissantes et gigantales[1] andouilles, le long d’une petite colline, furieusement en bataille marchantes vers nous au son des vèzes et piboles, des gogues[2] et des vessies, des joyeux pifres[3] et tambours, des trompettes et clairons. Par la conjecture de soixante et dix-huit enseignes qu’il y comptait, estimions leur nombre n’être moindre de quarante et deux mille. L’ordre qu’elles tenaient, leur fier marcher et faces assurées, nous faisaient croire que ce n’étaient friquenelles[4], mais vieilles andouilles de guerre. Par les premières filières jusque près les enseignes, étaient toutes armées à haut appareil, avec piques petites, comme nous semblait de loin, toutefois bien pointues et acérées. Sur les ailes étaient flanquegées[5] d’un grand nombre de boudins sylvatiques[6], de godiveaux[7] massifs et saucissons à cheval, tous de belle taille, gens insulaires, bandouiliers[8] et farouches. Pantagruel fut en grand émoi, et non sans, cause, quoique Épistémon lui remontrât que l’usance et coutume du pays andouillois pouvait être ainsi caresser et en armes recevoir leurs amis étrangers, comme sont les nobles rois de France par les bonnes villes du royaume reçus et salués à leurs premières entrées après leur sacre et nouvel avènement à la couronne. « Par aventure, disait-il, est-ce la garde ordinaire de la reine du lieu, laquelle avertie par les jeunes andouilles du guet que vîtes sur l’arbre comment en ce port surgeait[9] le beau et pompeux convoi de nos vaisseaux, a pensé que là devait être quelque riche et puissant prince, et vient vous visiter en personne. » De ce non satisfait, Pantagruel assembla son conseil pour sommairement leur avis entendre sur ce que faire devaient en cetui estrif[10] d’espoir incertain et crainte évidente.

Adonc brièvement leur remontra comment telles manières de recueil[11] en armes avait souvent porté mortel préjudice, sous couleur de caresse et amitié. « Ainsi, disait-il, l’empereur Antonin Caracalle, à l’une fois occit les Alexandrins, à l’autre défit la compagnie d’Artaban, roi des Perses, sous couleur et fiction de vouloir sa fille épouser, ce que ne resta impuni, car peu après il y perdit la vie. Ainsi les enfants de Jacob, pour venger le rapt de leur sœur Dyna, sacmentèrent[12] les Sichimiens. En cette hypocritique façon, par Galien, empereur romain, furent

  1. Gigantesques.
  2. Boyaux.
  3. Fifres.
  4. Petites friquettes, jeunes coquettes.
  5. Flanquées.
  6. Des bois.
  7. Pâtés.
  8. Brigands.
  9. Surgissait.
  10. Danger.
  11. Accueil.
  12. Mirent à sac.