« Au reste, j’ai cette confiance en la commisération de Notre-Seigneur, que, de cette notre pérégrination, la fin correspondra au commencement, et sera le totage[1] en allégresse et santé parfait. Je ne faudrai[2] à réduire en commentaires et éphémérides tout le discours de notre navigage[3], afin qu’à notre retour vous en ayez lecture véridique.
« J’ai trouvé ici un tarande de Scythie, animal étrange et merveilleux à cause des variations de couleur en sa peau et poil, selon la distinction des choses prochaines[4]. Vous le prendrez en gré. Il est autant maniable et facile à nourrir qu’un agneau. Je vous envoie pareillement trois jeunes unicornes[5], plus domestiques et apprivoisées que ne seraient petits chatons. J’ai conféré avec l’écuyer et dit la manière de les traiter. Elles ne pâturent en terre, obstant[6] leur longue corne on[7] front. Force est que pâture elles prennent es arbres fruitiers ou en râteliers idoines[8], ou en main, leur offrant herbes, gerbes, pommes, poires, orge, touzelle[9], bref toutes espèces de fruits et légumages[10]. Je m’ébahis comment nos écrivains antiques les disent tant farouches, féroces et dangereuses, et onques vives[11] n’avoir été vues. Si bon vous semble ferez épreuve du contraire et trouverez qu’en elles consiste une mignotise[12] la plus grande du monde, pourvu que malicieusement on ne les offense.
« Pareillement vous envoie la vie et gestes d’Achilles en tapisserie bien belle et industrieuse, vous assurant que les nouveautés d’animaux, de plantes, d’oiseaux, de pierreries, que trouver pourrai et recouvrer en toute notre pérégrination, toutes je vous porterai, aidant Dieu notre Seigneur, lequel je prie en sa sainte grâce vous conserver.
« De Medamothi, ce quinzième de juin, Panurge, frère Jean, Épistémon, Xénomanes, Gymnaste, Eusthènes, Rhizotome, Carpalim, après le dévot baisemain, vous resaluent en usure centuple.
« Votre humble fils et serviteur,
Pendant que Pantagruel écrivait les lettres susdites, Malicorne
