Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/19

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ne sont tous ceux des neuf évêchés de Bretagne. Exceptez seulement saint Yves.

« Je vous prie, considérez comment le noble Patelin, voulant déifier et par divines louanges mettre jusques au tiers ciel le père de Guillaume Jousseaume, rien plus ne dit sinon :

Et si[1] prêtait
Ses denrées[2] à qui en voulait.

« Ô le beau mot ! À ce patron figurez notre microcosme (id est, petit monde, c’est l’homme), en tous ses membres, prêtants, empruntants, devants, c’est-à-dire en son naturel, car nature n’a créé l’homme que pour prêter et emprunter. Plus grande n’est l’harmonie des cieux que sera de sa police. L’intention du fondateur de ce microcosme est y entretenir l’âme, laquelle il y a mise comme hôte, et la vie. La vie consiste en sang. Sang est le siège de l’âme ; pourtant[3] un seul labeur peine ce monde, c’est forger sang continuellement. En cette forge sont tous membres en office propre, et est leur hiérarchie telle que sans cesse l’un de l’autre emprunte, l’un à l’autre prête, l’un à l’autre est débiteur. La matière et métal convenable pour être en sang transmué est baillée par nature : pain et vin. En ces deux sont comprises toutes espèces des aliments, et de ce est dit le companage[4] en langage goth. Pour icelles trouver, préparer et cuire, travaillent les mains, cheminent les pieds et portent toute cette machine, les yeux tout conduisent. L’appétit, en l’orifice de l’estomac, moyennant un peu de mélancolie aigrette qui lui est transmis de la râtelle, admoneste d’enfourner viande. La langue en fait l’essai, les dents la mâchent, l’estomac la reçoit, digère et chylifie. Les veines mésaraïques[5] en sucent ce qu’est bon et idoine, délaissent les excréments (lesquels, par vertu expulsive, sont vidés hors par exprès conduits), puis la portent au foie. Il la transmue de rechef, et en fait sang. Lors quelle joie pensez-vous être entre ces officiers, quand ils ont vu ce ruisseau d’or, qui est leur seul restaurant ? Plus grande n’est la joie des alchimistes quand, après longs travaux, grand soin et dépense, ils voient les métaux transmués dedans leurs fourneaux.

« Adonc chacun membre se prépare et s’évertue de nouveau

  1. Ainsi.
  2. Marchandises.
  3. C’est pourquoi.
  4. Ce qui se mange avec le pain.
  5. Du mésentère.