Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/166

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d’olif[1]. Et comme il était ainsi là demeurant, reçut un jour lettres de son père en la manière qui s’ensuit :

« Très cher fils, entre les dons, grâces et prérogatives desquelles le souverain plasmateur[2] Dieu tout puissant a endouairé[3] et orné l’humaine nature à son commencement, celle me semble singulière et excellente par laquelle elle peut, en état mortel, acquérir espèce d’immortalité, et, en décours[4] de vie transitoire, perpétuer son nom et sa semence, ce qu’est fait par lignée issue de nous en mariage légitime. Dont nous est aucunement instauré[5] ce qui nous fut tollu[6] par le péché de nos premiers parents, esquels fut dit que, parce qu’ils n’avaient été obéissants au commandement de Dieu le créateur, ils mourraient, et, par mort, serait réduite à néant cette tant magnifique plasmature[7] en laquelle avait été l’homme créé.

« Mais, par ce moyen de propagation séminale, demeure ès enfants ce qu’était de perdu ès parents, et ès neveux ce que dépérissait ès enfants, et ainsi successivement jusques à l’heure du jugement final, quand Jésus-Christ aura rendu à Dieu le Père son royaume pacifique, hors tout danger et contamination de péché, car alors cesseront toutes générations et corruptions, et seront les éléments hors de leurs transmutations continues, vu que la paix tant désirée sera consumée[8] et parfaite, et que toutes choses seront réduites[9] à leur fin et période.

« Non donc sans juste et équitable cause je rends grâces à Dieu, mon conservateur, de ce qu’il m’a donné pouvoir voir mon antiquité chenue refleurir en ta jeunesse, car quand, par le plaisir de lui, qui tout régit et modère, mon âme laissera cette habitation humaine, je ne me réputerai totalement mourir, ains[10] passer d’un lieu en autre, attendu que, en toi et par toi, je demeure en mon image visible en ce monde, vivant, voyant et conversant entre gens d’honneur et mes amis, comme je soulais[11]. Laquelle mienne conversation a été, moyennant l’aide et grâce divine, non sans péché, je le confesse (car nous péchons tous et continuellement requérons à Dieu qu’il efface nos péchés), mais sans reproche.

« Par quoi, ainsi comme en toi demeure l’image de mon corps, si pareillement ne reluisaient les mœurs de l’âme, l’on ne te jugerait être garde et trésor de l’immortalité de notre nom, et le plaisir que prendrais ce voyant serait petit, considérant que la

  1. Outres et tonneaux d’huile.
  2. Créateur.
  3. Doté.
  4. Cours.
  5. Rétabli.
  6. Ôté.
  7. Forme.
  8. Consommée.
  9. Ramenées.
  10. Mais.
  11. Avais coutume.