Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/209

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pisser, à cause des drogues que lui avait baillé Panurge, et pissa parmi leur camp, si bien et copieusement qu’il les noya tous, et y eut déluge particulier dix lieues à la ronde. Et dit l’histoire que si la grand jument de son père y eût été et pissé pareillement, qu’il y eût déluge plus énorme que celui de Deucalion, car elle ne pissait fois qu’elle ne fît une rivière plus grande que n’est le Rhône et le Danube.

Ce que voyants ceux qui étaient issus de la ville, disaient : « Ils sont tous morts cruellement, voyez le sang courir. » Mais ils étaient trompés, pensants de l’urine de Pantagruel que fût le sang des ennemis, car ils ne voyaient sinon au lustre du feu des pavillons[1] et quelque peu de clarté de la lune.

Les ennemis, après soi être réveillés, voyants d’un côté le feu en leur camp et l’inondation et déluge urinal, ne savaient que dire ni que penser. Aucuns disaient que c’était la fin du monde et le jugement final, qui doit être consommé par feu ; les autres, que les dieux marins Neptune, Protéus, Tritons, autres, les persécutaient et que de fait, c’était eau marine et salée.

Ô qui pourra maintenant raconter comment se porta[2] Pantagruel contre les trois cents géants ? Ô ma muse ! ma Calliope, ma Thalie, inspire-moi à cette heure ! Restaure-moi mes esprits, car voici le pont aux ânes de logique, voici le trébuchet, voici la difficulté de pouvoir exprimer l’horrible bataille qui fut faite.

À la mienne volonté que j’eusse maintenant un bocal du meilleur vin que burent onques ceux qui liront cette histoire tant véridique !

COMMENT PANTAGRUEL DÉFIT LES TROIS CENTS GÉANTS ARMÉS DE PIERRES DE TAILLE, ET LOUPGAROU, LEUR CAPITAINE.

Les géants, voyants que tout leur camp était noyé, emportèrent leur roi Anarche à leur col, le mieux qu’ils purent, hors du fort[3], comme fit Enéas son père Anchises de la conflagration de Troie. Lesquels quand Panurge aperçut, dit à Pantagruel : « Seigneur, voyez là les géants qui sont issus. Donnez dessus à[4] votre mât, galantement à la vieille escrime, car c’est à cette heure qu’il se faut montrer homme de bien, et de notre côté, nous

  1. Tentes.
  2. Comporta.
  3. Le fort de la mêlée.
  4. Avec.