Page:Rabelais marty-laveaux 04.djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

374 COMMENTAIRE.

le dire de Platon dans Eiithydème) « en toute profes- sion les ignorants et les gens sans mérite sont nom- breux, mais les hommes zélés et de grand mérite, fort rares ; » ou bien parce que la puissance des té- nèbres de ce genre est telle, que ceux dont elles ont une fois envahi les yeux sont nécessairement voués, par suite d’une irrémédiable sufFusion, à des halluci- nations et une cécité dont ni collyres ni besicles ne les pourraient désormais soulager, conformément à ce que nous lisons dans les catégories d’Aristotc : « De l’être au néant le changement est possible, du néant à l’être, impossible ? » Quand j’examine sérieusement la chose, et la pèse, comme on dit, à la balance de Critolaûs^, cette Odyssée d’erreurs ne me paraît avoir d’autre origine que cette infâme philautie- si blâmée des philosophes : lorsqu’elle a une fois frappé les hommes qui ne savent ce qu’ils doivent désirer ou craindre, elle émousse d’ordinaire et fascine leurs sens et leurs esprits, de sorte qu’ils voient sans voir et comprennent sans comprendre. Car si tu 6tes à ceux que la plèbe ignorante a considérés comme d’un cer- tain rang, à cause de l’habileté empruntée et spécieuse qu’ils affectaient, ce masque et cette peau de lion, et que tu parviennes à faire reconnaître au vulgaire que l’art qui les a fait parvenir à une position brillante n’est que jongleries pures et inepties très ineptes, paraîtras-tu avoir fait autre chose que d’avoir crevé les yeux des corbeaux ■’ ? Alors ceux qui siégeaient à l’orchestre auront grand’peine à se caser aux dernières places, jusqu’à ce qu’ils en viennent enfin à exciter non seulement le rire du peuple et des enfants, parmi

1. Voyez ci-dessus, p. 252, la note sur la 1. j de la p. 159.

2. Nous cvons cru devoir employer ce mot dont Rabelais se sei t en plus d’un endroit (voyez le Glossaire), et qu’il explique ainsi lui-même : « Philautie & amour de foy. » (T. 11, p. 142.)

3. Cette locution, employée par Cicéron dans le discours pro Murena (xi, 25), s’applique aux gens qui détruisent le prestige de ceux qui passaient pour des oracles.