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APPENDICE.

aimer, ma chère cousine, les peines que vous prenez pour moi et les persécutions que vous souffrez pour être dans mes intérêts, et les hasards où cela vous expose m’obligeroient à vous aimer toute ma vie : jugez donc de tout ce que cela peut faire sur un cœur qui n’est ni insensible ni ingrat ; mais jugez aussi des alarmes où je suis sans cesse pour vous. L’exemple de Ricoux me fait trembler : et, quand je songe que ce que j’ai de plus cher au monde est entre les mains de mes ennemis, je suis dans des inquiétudes qui ne me donnent point de repos. Au nom de Dieu, ma pauvre chère, ne vous commettez plus comme vous faites ; j’aime mieux ne retourner jamais en France que d’être cause que vous ayez la moindre appréhension. C’est à moi à m’exposer et à mettre par la guerre mes affaires en état que Ton traite avec moi ; et alors, ma chère cousine, vous pourrez m’aider de votre entremise : et cependant, comme les événements sont douteux à la guerre, j’ai un coup sûr pour passer ma vie avec vous et nous lier d’intérêts encore plus que nous n’avons fait jusqu’ici. Ne croyez pas que madame la princesse soit un obstacle invincible à cela : on en rompt de plus considérables quand on aime autant que je fa’s. Je ne donne en cet endroit, ma chère cousine, aucune borne à mon imagination ni à vos espérances ; vous les pourrez pousser aussi loin qu’il vous plaira. Adieu.

L’espérance qu’eut madame de Châtillon sur cette lettre de pouvoir épouser M. le prince lui lit balancer à refuser les offres du roi d’Angleterre ; elle consulta là-dessus un de ses amis en présence de Bordeaux. Celle-ci, de qui le mari étoit auprès de M. le prince, disoit à sa maîtresse qu’elle étoit visionnaire de songer un moment à épouser une ombre de roi, un misérable qui n’avoit pas de quoi vivre et qui, en se faisant moquer d’eux, la ruineroit en peu de temps ; que s’il étoit possible, contre toutes les apparences du monde, qu’il remontât un jour sur le trône, elle pouvoit bien croire qu’étant las d’elle il la répudieroit sur le prétexte d’inégalité de condition. Son ami lui di-