Je le vois bien, tu crois que prêt à l’excuser
Mon cœur court après elle, et cherche à s’apaiser.
Vous aimez : c’est assez.
Qui me hait d’autant plus que mon amour la flatte ?
Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi !
Je puis perdre son fils, peut-être je le doi ;
Étrangère… que dis-je ? esclave dans l’Épire,
Je lui donne son fils, mon âme, mon empire ;
Et je ne puis gagner dans son perfide cœur
D’autre rang que celui de son persécuteur ?
Non, non, je l’ai juré, ma vengeance est certaine ;
Il faut bien une fois justifier sa haine :
J’abandonne son fils. Que de pleurs vont couler !
De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler !
Quel spectacle pour elle aujourd’hui se dispose !
Elle en mourra, Phœnix, et j’en serai la cause :
C’est lui mettre moi-même un poignard dans le sein.
Et pourquoi donc en faire éclater le dessein ?
Que ne consultiez-vous tantôt votre faiblesse ?
Je t’entends. Mais excuse un reste de tendresse.
Crains-tu pour ma colère un si faible combat !
D’un amour qui s’éteint c’est le dernier éclat.
Allons. À tes conseils, Phœnix, je m’abandonne.
Faut-il livrer son fils, faut-il voir Hermione ?
Oui, voyez-la, seigneur ; et par des vœux soumis,
Protestez-lui…
Faisons tout ce que j’ai promis.
ACTE TROISIÈME.
Scène première.
Modérez donc, seigneur, cette fureur extrême :
Je ne vous connais plus ; vous n’êtes plus vous-même.
Souffrez…
Pylade ; je suis las d’écouter la raison.
C’est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice ;
Il faut que je l’enlève, ou bien que je périsse.
Le dessein en est pris ; je le veux achever.
Oui, je le veux.
J’y consens. Mais songez cependant où vous êtes.
Que croira-t-on de vous, à voir ce que vous faites ?
Dissimulez : calmez ce transport inquiet ;
Commandez à vos yeux de garder le secret.
Ces gardes, cette cour, l’air qui vous environne,
Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione.
À ses regards surtout cachez votre courroux.
Ô dieux ! en cet état pourquoi la cherchiez-vous ?
Que sais-je ? De moi-même étais-je alors le maître ?
La fureur m’emportait, et je venais peut-être
Menacer à la fois l’ingrate et son amant.
Et quel était le fruit de cet emportement ?
Et quelle âme, dis-moi, ne serait éperdue
Du coup dont ma raison vient d’être confondue ?
Il épouse, dit-il, Hermione demain ;
Il veut, pour m’honorer, la tenir de ma main.
Ah ! plutôt cette main dans le sang du barbare…
Vous l’accusez, seigneur, de ce destin bizarre ;
Cependant, tourmenté de ses propres desseins,
Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains.
Non, non ; je le connais, mon désespoir le flatte ;
Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l’ingrate ;
Ses charmes jusque-là n’avaient pu le toucher :
Le cruel ne la prend que pour me l’arracher.
Ah dieux ! c’en était fait : Hermione gagnée
Pour jamais de sa vue allait être éloignée ;
Son cœur, entre l’amour et le dépit confus,
Pour se donner à moi n’attendait qu’un refus ;
Ses yeux s’ouvraient, Pylade ; elle écoutait Oreste,
Lui parlait, le plaignait… Un mot eût fait le reste.
Vous le croyez ?
Contre un ingrat…
Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l’aurait accordée,
Qu’un prétexte tout prêt ne l’eût pas retardée ?
M’en croirez-vous ? Lassé de ses trompeurs attraits,
Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais.
Quoi ! votre amour se veut charger d’une furie
Qui vous détestera, qui, toute votre vie,
Regrettant un hymen tout prêt à s’achever,
Voudra…