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Comptez depuis quel temps votre hymen se prépare :
Il a parlé, madame, et Pyrrhus se déclare.

HERMIONE.

Tu crois que Pyrrhus craint ? Et que craint-il encor ?
Des peuples qui, dix ans, ont fui devant Hector ;
Qui cent fois, effrayés de l’absence d’Achille,
Dans leurs vaisseaux brûlants ont cherché leur asile,
Et qu’on verrait encor, sans l’appui de son fils,
Redemander Hélène aux Troyens impunis ?
Non, Cléone, il n’est point ennemi de lui-même ;
Il veut tout ce qu’il fait ; et, s’il m’épouse, il m’aime.
Mais qu’Oreste à son gré m’impute ses douleurs ;
N’avons-nous d’entretien que celui de ses pleurs ?
Pyrrhus revient à nous ! Eh bien ! chère Cléone,
Conçois-tu les transports de l’heureuse Hermione ?
Sais-tu quel est Pyrrhus ? T’es-tu fait raconter
Le nombre des exploits… Mais qui les peut compter ?
Intrépide, et partout suivi de la victoire,
Charmant, fidèle enfin : rien ne manque à sa gloire.
Songe…

CLÉONE.

Songe… Dissimulez : votre rivale en pleurs
Vient à vos pieds, sans doute, apporter ses douleurs.

HERMIONE.

Dieux ! ne puis-je à ma joie abandonner mon âme !
Sortons : que lui dirais-je ?


Scène IV.

ANDROMAQUE, HERMIONE, CLÉONE, CÉPHISE.
ANDROMAQUE.

Sortons : que lui dirais-je ? Où fuyez-vous, madame ?
N’est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d’Hector pleurant à vos genoux ?
Je ne viens point ici, par de jalouses larmes,
Vous envier un cœur qui se rend à vos charmes.
Par une main cruelle, hélas ! j’ai vu percer
Le seul où mes regards prétendaient s’adresser :
Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;
Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée.
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour ;
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
Lorsque de tant de biens qui pouvaient nous flatter,
C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter.
Hélas ! lorsque, lassés de dix ans de misère,
Les Troyens en courroux menaçaient votre mère,
J’ai su de mon Hector lui procurer l’appui :
Vous pouvez sur Pyrrhus ce que j’ai pu sur lui.
Que craint-on d’un enfant qui survit à sa perte ?
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte :
Sur les soins de sa mère on peut s’en assurer,
Et mon fils avec moi n’apprendra qu’à pleurer.

HERMIONE.

Je conçois vos douleurs ; mais un devoir austère,
Quand mon père a parlé, m’ordonne de me taire.
C’est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux.
S’il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?
Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme,
Faites-le prononcer : j’y souscrirai, madame.


Scène V.

ANDROMAQUE, CÉPHISE.
ANDROMAQUE.

Quel mépris la cruelle attache à ses refus !

CÉPHISE.

Je croirais ses conseils, et je verrais Pyrrhus.
Un regard confondrait Hermione et la Grèce…
Mais lui-même il vous cherche.


Scène VI.

PYRRHUS, ANDROMAQUE, PHŒNIX, CÉPHISE.
Pyrrhus, à Phœnix.

Mais lui-même il vous cherche. Où donc est la princesse ?
Ne m’avais-tu pas dit qu’elle était en ces lieux ?

PHŒNIX.

Je le croyais.

Andromaque, à Céphise.

Je le croyais. Tu vois le pouvoir de mes yeux !

PYRRHUS.

Que dit-elle, Phœnix ?

ANDROMAQUE.

Que dit-elle, Phœnix ? Hélas ! tout m’abandonne !

PHŒNIX.

Allons, seigneur, marchons sur les pas d’Hermione.

CÉPHISE.

Qu’attendez-vous ? Rompez ce silence obstiné.

ANDROMAQUE.

Il a promis mon fils.

CÉPHISE.

Il a promis mon fils. Il ne l’a pas donné.

ANDROMAQUE.

Non, non, j’ai beau pleurer, sa mort est résolue.

PYRRHUS.

Daigne-t-elle sur nous tourner au moins la vue ?
Quel orgueil ?

ANDROMAQUE.

Quel orgueil ? Je ne fais que l’irriter encor,
Sortons.

PYRRHUS.

Sortons. Allons aux Grecs livrer le fils d’Hector.