Malheureuse, dis-moi seulement s’il respire.
Il y va de ma vie, et je ne puis rien dire.
Ah ! c’en est trop, cruelle. Achève, et que ta main
Lui donne de ton zèle un gage plus certain ;
Perce toi-même un cœur que ton silence accable,
D’une esclave barbare esclave impitoyable ;
Précipite des jours qu’elle me veut ravir :
Montre-toi, s’il se peut, digne de la servir.
Tu me retiens en vain, et dès cette même heure,
Il faut que je le voie, ou du moins que je meure.
Scène IX.
Ah ! que fait Bajazet ? Où le puis-je trouver,
Madame ? Aurai-je encor le temps de le sauver ?
Je cours tout le sérail ; et même dès l’entrée
De mes braves amis la moitié séparée
A marché sur les pas du courageux Osmin :
Le reste m’a suivi par un autre chemin.
Je cours, et je ne vois que des troupes craintives
D’esclaves effrayés, de femmes fugitives.
Ah ! je suis de son sort moins instruite que vous.
Cette esclave le sait.
Malheureuse ! réponds.
Scène X.
Madame…
Qu’est-ce ?
Ne craignez plus : votre ennemie expire.
Roxane ?
Orcan lui-même, Orcan vient de l’assassiner.
Quoi ! lui ?
Sans doute il a voulu prendre cette victime.
Juste ciel, l’innocence a trouvé ton appui !
Bajazet vit encor : vizir, courez à lui.
Par la bouche d’Osmin vous serez mieux instruite.
Il a tout vu.
Scène XI.
Roxane est-elle morte ?
Retirer son poignard tout fumant de son sein.
Orcan, qui méditait ce cruel stratagème,
La servait à dessein de la perdre elle-même ;
Et le sultan l’avait chargé secrètement
De lui sacrifier l’amante après l’amant.
Lui-même, d’aussi loin qu’il nous a vus paraître :
« Adorez, a-t-il dit, l’ordre de votre maître ;
« De son auguste seing reconnaissez les traits,
« Perfides, et sortez de ce sacré palais. »
À ce discours, laissant la sultane expirante,
Il a marché vers nous ; et d’une main sanglante
Il nous a déployé l’ordre dont Amurat
Autorise ce monstre à ce double attentat.
Mais, seigneur, sans vouloir l’écouter davantage,
Transportés à la fois de douleur et de rage,
Nos bras impatients ont puni ce forfait,
Et vengé dans son sang la mort de Bajazet.
Bajazet !
Que dis-tu ?
L’ignoriez-vous ?
Ô ciel !
Près de ces lieux, seigneur, craignant votre secours,
Avait au nœud fatal abandonné ses jours.
Moi-même des objets j’ai vu le plus funeste,
Et de sa vie en vain j’ai cherché quelque reste :
Bajazet était mort. Nous l’avons rencontré
De morts et de mourants noblement entouré,
Que, vengeant sa défaite, et cédant sous le nombre,
Ce héros a forcés d’accompagner son ombre.
Mais puisque c’en est fait, seigneur, songeons à nous.
Ah ! destins ennemis, où me réduisez-vous ?
Je sais en Bajazet la perte que vous faites,