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ATALIDE.

Malheureuse, dis-moi seulement s’il respire.

ZATIME.

Il y va de ma vie, et je ne puis rien dire.

ATALIDE.

Ah ! c’en est trop, cruelle. Achève, et que ta main
Lui donne de ton zèle un gage plus certain ;
Perce toi-même un cœur que ton silence accable,
D’une esclave barbare esclave impitoyable ;
Précipite des jours qu’elle me veut ravir :
Montre-toi, s’il se peut, digne de la servir.
Tu me retiens en vain, et dès cette même heure,
Il faut que je le voie, ou du moins que je meure.


Scène IX.

ATALIDE, ACOMAT, ZATIME.
ACOMAT.

Ah ! que fait Bajazet ? Où le puis-je trouver,
Madame ? Aurai-je encor le temps de le sauver ?
Je cours tout le sérail ; et même dès l’entrée
De mes braves amis la moitié séparée
A marché sur les pas du courageux Osmin :
Le reste m’a suivi par un autre chemin.
Je cours, et je ne vois que des troupes craintives
D’esclaves effrayés, de femmes fugitives.

ATALIDE.

Ah ! je suis de son sort moins instruite que vous.
Cette esclave le sait.

ACOMAT.

Cette esclave le sait. Crains mon juste courroux,
Malheureuse ! réponds.


Scène X.

ATALIDE, ACOMAT, ZATIME, ZAÏRE.
ZAÏRE.

Malheureuse ! réponds. Madame…

ATALIDE.

Malheureuse ! réponds. Madame… Eh bien, Zaïre ?
Qu’est-ce ?

ZAÏRE.

Qu’est-ce ? Ne craignez plus : votre ennemie expire.

ATALIDE.

Roxane ?

ZAÏRE.

Roxane ? Et ce qui va bien plus vous étonner,
Orcan lui-même, Orcan vient de l’assassiner.

ATALIDE.

Quoi ! lui ?

ZAÏRE.

Quoi ! lui ? Désespéré d’avoir manqué son crime,
Sans doute il a voulu prendre cette victime.

ATALIDE.

Juste ciel, l’innocence a trouvé ton appui !
Bajazet vit encor : vizir, courez à lui.

ZAÏRE.

Par la bouche d’Osmin vous serez mieux instruite.
Il a tout vu.


Scène XI.

ATALIDE, ACOMAT, OSMIN, ZAÏRE.
ACOMAT.

Il a tout vu. Ses yeux ne l’ont-ils point séduite ?
Roxane est-elle morte ?

OSMIN.

Roxane est-elle morte ? Oui, j’ai vu l’assassin
Retirer son poignard tout fumant de son sein.
Orcan, qui méditait ce cruel stratagème,
La servait à dessein de la perdre elle-même ;
Et le sultan l’avait chargé secrètement
De lui sacrifier l’amante après l’amant.
Lui-même, d’aussi loin qu’il nous a vus paraître :
« Adorez, a-t-il dit, l’ordre de votre maître ;
« De son auguste seing reconnaissez les traits,
« Perfides, et sortez de ce sacré palais. »
À ce discours, laissant la sultane expirante,
Il a marché vers nous ; et d’une main sanglante
Il nous a déployé l’ordre dont Amurat
Autorise ce monstre à ce double attentat.
Mais, seigneur, sans vouloir l’écouter davantage,
Transportés à la fois de douleur et de rage,
Nos bras impatients ont puni ce forfait,
Et vengé dans son sang la mort de Bajazet.

ATALIDE.

Bajazet !

ACOMAT.

Bajazet ! Que dis-tu ?

OSMIN.

Bajazet ! Que dis-tu ? Bajazet est sans vie.
L’ignoriez-vous ?

ATALIDE.

L’ignoriez-vous ? Ô ciel !

OSMIN.

L’ignoriez-vous ? Ô ciel ! Son amante en furie,
Près de ces lieux, seigneur, craignant votre secours,
Avait au nœud fatal abandonné ses jours.
Moi-même des objets j’ai vu le plus funeste,
Et de sa vie en vain j’ai cherché quelque reste :
Bajazet était mort. Nous l’avons rencontré
De morts et de mourants noblement entouré,
Que, vengeant sa défaite, et cédant sous le nombre,
Ce héros a forcés d’accompagner son ombre.
Mais puisque c’en est fait, seigneur, songeons à nous.

ACOMAT.

Ah ! destins ennemis, où me réduisez-vous ?
Je sais en Bajazet la perte que vous faites,