Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MITHRIDATE.

Ils s’aiment ! C’est ainsi qu’on se jouait de nous !
Ah ! fils ingrat, tu vas me répondre pour tous :
Tu périras ! Je sais combien ta renommée
Et tes fausses vertus ont séduit mon armée ;
Perfide, je te veux porter des coups certains :
Il faut pour te mieux perdre écarter les mutins,
Et faisant à mes yeux partir les plus rebelles,
Ne garder près de moi que des troupes fidèles.
Allons. Mais sans montrer un visage offensé,
Dissimulons encor, comme j’ai commencé.




ACTE QUATRIÈME.





Scène première.

MONIME, PHŒDIME.
MONIME.

Phœdime, au nom des dieux, fais ce que je désire :
Va voir ce qui se passe, et reviens me le dire.
Je ne sais ; mais mon cœur ne se peut rassurer :
Mille soupçons affreux viennent me déchirer.
Que tarde Xipharès ! et d’où vient qu’il diffère
À seconder des vœux qu’autorise son père ?
Son père, en me quittant, me l’allait envoyer…
Mais il feignait peut-être… Il fallait tout nier.
Le roi feignait ! Et moi découvrant ma pensée…
Ô dieux ! en ce péril m’auriez-vous délaissée ?
Et se pourrait-il bien qu’à son ressentiment
Mon amour indiscret eût livré mon amant ?
Quoi, prince ! quand tout plein de ton amour extrême
Pour savoir mon secret tu me pressais toi-même,
Mes refus trop cruels vingt fois te l’ont caché ;
Je t’ai même puni de l’avoir arraché :
Et quand de toi peut-être un père se défie,
Que dis-je ? quand peut-être il y va de ta vie,
Je parle ; et trop facile à me laisser tromper,
Je lui marque le cœur où sa main doit frapper !

PHŒDIME.

Ah ! traitez-le, madame, avec plus de justice ;
Un grand roi descend-il jusqu’à cet artifice ?
À prendre ce détour qui l’aurait pu forcer ?
Sans murmure à l’autel vous l’alliez devancer.
Voulait-il perdre un fils qu’il aime avec tendresse ?
Jusqu’ici les effets secondent sa promesse :
Madame, il vous disait qu’un important dessein,
Malgré lui, le forçait à vous quitter demain :
Ce seul dessein l’occupe ; et hâtant son voyage,
Lui-même ordonne tout, présent sur le rivage ;
Ses vaisseaux en tous lieux se chargent de soldats,
Et partout Xipharès accompagne ses pas.
D’un rival en fureur est-ce là la conduite ?
Et voit-on ses discours démentis par la suite ?

MONIME.

Pharnace, cependant, par son ordre arrêté,
Trouve en lui d’un rival toute la dureté.
Phœdime, à Xipharès fera-t-il plus de grâce ?

PHŒDIME.

C’est l’ami des Romains qu’il punit en Pharnace :
L’amour a peu de part à ses justes soupçons.

MONIME.

Autant que je le puis, je cède à tes raisons ;
Elles calment un peu l’ennui qui me dévore.
Mais pourtant Xipharès ne paraît point encore.

PHŒDIME.

Vaine erreur des amants, qui, pleins de leurs désirs,
Voudraient que tout cédât aux soins de leurs plaisirs ;
Qui, prêts à s’irriter contre le moindre obstacle…

MONIME.

Ma Phœdime, eh ! qui peut concevoir ce miracle ?
Après deux ans d’ennuis, dont tu sais tout le poids,
Quoi ! je puis respirer pour la première fois !
Quoi ! cher prince, avec toi je me verrais unie !
Et loin que ma tendresse eût exposé ta vie,
Tu verrais ton devoir, je verrais ma vertu,
Approuver un amour si longtemps combattu !
Je pourrais tous les jours t’assurer que je t’aime :
Que ne viens-tu ?


Scène II.

MONIME, XIPHARÈS, PHŒDIME.
MONIME.

Que ne viens-tu ? Seigneur, je parlais de vous-même.
Mon âme souhaitait de vous voir en ce lieu,
Pour vous…

XIPHARÈS.

Pour vous… C’est maintenant qu’il faut vous dire adieu.

MONIME.

Adieu ! vous ?

XIPHARÈS.

Adieu ! vous ? Oui, madame, et pour toute ma vie.

MONIME.

Qu’entends-je ? On me disait… Hélas ! ils m’ont trahie.

XIPHARÈS.

Madame, je ne sais quel ennemi couvert,
Révélant nos secrets, vous trahit, et me perd.
Mais le roi, qui tantôt n’en croyait point Pharnace,
Maintenant dans nos cœurs sait tout ce qui se passe.
Il feint, il me caresse, et cache son dessein ;
Mais moi qui dès l’enfance élevé dans son sein
De tous ses mouvements ai trop d’intelligence,