Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/240

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AGAMEMNON.

Madame, c’est assez : je consens qu’on le croie.
Je reconnais l’erreur qui nous avait séduits,
Et ressens votre joie autant que je le puis.
Vous voulez que Calchas l’unisse à ma famille ;
Vous pouvez à l’autel envoyer votre fille :
Je l’attends. Mais, avant que de passer plus loin,
J’ai voulu vous parler un moment sans témoin.
Vous voyez en quels lieux vous l’avez amenée :
Tout y ressent la guerre, et non point l’hyménée.
Le tumulte d’un camp, soldats et matelots,
Un autel hérissé de dards, de javelots,
Tout ce spectacle enfin, pompe digne d’Achille,
Pour attirer vos yeux n’est point assez tranquille ;
Et les Grecs y verraient l’épouse de leur roi
Dans un état indigne et de vous et de moi.
M’en croirez-vous ? Laissez, de vos femmes suivie,
À cet hymen, sans vous, marcher Iphigénie.

CLYTEMNESTRE.

Qui ? moi ! que, remettant ma fille en d’autres bras,
Ce que j’ai commencé, je ne l’achève pas !
Qu’après l’avoir d’Argos amenée en Aulide,
Je refuse à l’autel de lui servir de guide !
Dois-je donc de Calchas être moins près que vous ?
Et qui présentera ma fille à son époux ?
Quelle autre ordonnera cette pompe sacrée ?

AGAMEMNON.

Vous n’êtes point ici dans le palais d’Atrée :
Vous êtes dans un camp…

CLYTEMNESTRE.

Vous êtes dans un camp… Où tout vous est soumis ;
Où le sort de l’Asie en vos mains est remis ;
Où je vois sous vos lois marcher la Grèce entière ;
Où le fils de Thétis va m’appeler sa mère.
Dans quel palais superbe et plein de ma grandeur
Puis-je jamais paraître avec plus de splendeur ?

AGAMEMNON.

Madame, au nom des dieux auteurs de notre race,
Daignez à mon amour accorder cette grâce.
J’ai mes raisons.

CLYTEMNESTRE.

J’ai mes raisons. Seigneur, au nom des mêmes dieux,
D’un spectacle si doux ne privez point mes yeux.
Daignez ne point ici rougir de ma présence.

AGAMEMNON.

J’avais plus espéré de votre complaisance.
Mais puisque la raison ne vous peut émouvoir,
Puisque enfin ma prière a si peu de pouvoir,
Vous avez entendu ce que je vous demande,
Madame : je le veux, et je vous le commande.
Obéissez.


Scène II.

CLYTEMNESTRE.

Obéissez. D’où vient que d’un soin si cruel
L’injuste Agamemnon m’écarte de l’autel ?
Fier de son nouveau rang, m’ose-t-il méconnaître ?
Me croit-il à sa suite indigne de paraître ?
Ou, de l’empire encor timide possesseur,
N’oserait-il d’Hélène ici montrer la sœur ?
Et pourquoi me cacher ? et par quelle injustice
Faut-il que sur mon front sa honte rejaillisse ?
Mais n’importe ; il le veut, et mon cœur s’y résout.
Ma fille, ton bonheur me console de tout !
Le ciel te donne Achille ; et ma joie est extrême
De t’entendre nommer… Mais le voici lui-même.


Scène III.

ACHILLE, CLYTEMNESTRE.
ACHILLE.

Tout succède, madame, à mon empressement :
Le roi n’a point voulu d’autre éclaircissement ;
Il en croit mes transports ; et sans presque m’entendre,
Il vient, en m’embrassant, de m’accepter pour gendre.
Il ne m’a dit qu’un mot. Mais vous a-t-il conté
Quel bonheur dans le camp vous avez apporté ?
Les dieux vont s’apaiser : du moins Calchas publie
Qu’avec eux, dans une heure, il nous réconcilie ;
Que Neptune et les vents, prêts à nous exaucer,
N’attendent que le sang que sa main va verser.
Déjà dans les vaisseaux la voile se déploie,
Déjà sur sa parole ils se tournent vers Troie.
Pour moi, quoique le ciel, au gré de mon amour,
Dût encore des vents retarder le retour,
Que je quitte à regret la rive fortunée
Où je vais allumer les flambeaux d’hyménée,
Puis-je ne point chérir l’heureuse occasion
D’aller du sang troyen sceller notre union,
Et de laisser bientôt, sous Troie ensevelie,
Le déshonneur d’un nom à qui le mien s’allie ?


Scène IV.

ACHILLE, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ÉRIPHILE, ÆGINE, DORIS.
ACHILLE.

Princesse, mon bonheur ne dépend que de vous ;
Votre père à l’autel vous destine un époux :
Venez y recevoir un cœur qui vous adore.

IPHIGÉNIE.

Seigneur, il n’est pas temps que nous partions encore.
La reine permettra que j’ose demander