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TOUT LE CHŒUR.

Arrachons, déchirons tous ces vains ornements
Qui parent notre tête.

UNE ISRAÉLITE, seule.

Quel carnage de toutes parts !
On égorge à la fois les enfants, les vieillards,
Et la sœur, et le frère,
Et la fille, et la mère,
Le fils, dans les bras de son père !
Que de corps entassés, que de membres épars,
Privés de sépulture !
Grand Dieu, tes saints sont la pâture
Des tigres et des léopards.

UNE DES PLUS JEUNES ISRAÉLITES.

Hélas ! si jeune encore,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ?
Ma vie à peine a commencé d’éclore :
Je tomberai comme une fleur
Qui n’a qu’une aurore.
Hélas ! si jeune encore,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ?

UNE AUTRE.

Des offenses d’autrui malheureuses victimes,
Que nous servent, hélas ! ces regrets superflus ?
Nos pères ont péché, nos pères ne sont plus.
Et nous portons la peine de leurs crimes.

TOUT LE CHŒUR.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats :
Non, non, il ne souffrira pas
Qu’on égorge ainsi l’innocence.

UNE ISRAÉLITE, seule.

Eh quoi ! dirait l’impiété,
Où donc est-il ce Dieu si redouté
Dont Israël nous vantait la puissance ?

UNE AUTRE.

Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux,
Frémissez, peuples de la terre,
Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux,
Est le seul qui commande aux cieux :
Ni les éclairs ni le tonnerre
N’obéissent point à vos dieux.

UNE AUTRE.

Il renverse l’audacieux.

UNE AUTRE.

Il prend l’humble sous sa défense.

TOUT LE CHŒUR.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats :
Non, non, il ne souffrira pas
Qu’on égorge ainsi l’innocence.

DEUX ISRAÉLITES.

Ô Dieu, que la gloire couronne,
Dieu, que la lumière environne,
Qui voles sur l’aile des vents,
Et dont le trône est porté par les anges ;

DEUX AUTRES DES PLUS JEUNES.

Dieu, qui veux bien que de simples enfants
Avec eux chantent tes louanges ;

TOUT LE CHŒUR.

Tu vois nos pressants dangers :
Donne à ton nom la victoire ;
Ne souffre point que ta gloire
Passe à des dieux étrangers.

UNE ISRAÉLITE, seule.

Arme-toi, viens nous défendre.
Descends, tel qu’autrefois la mer te vit descendre ;
Que les méchants apprennent aujourd’hui
À craindre ta colère :
Qu’ils soient comme la poudre et la paille légère
Que le vent chasse devant lui.

TOUT LE CHŒUR.

Tu vois nos pressants dangers :
Donne à ton nom la victoire ;
Ne souffre point que ta gloire
Passe à des dieux étrangers.




ACTE SECOND.


Le théâtre représente la chambre où est le trône d’Assuérus.





Scène première.

AMAN, HYDASPE.
AMAN.

Eh quoi ! lorsque le jour ne commence qu’à luire,
Dans ce lieu redoutable oses-tu m’introduire ?

HYDASPE.

Vous savez qu’on s’en peut reposer sur ma foi ;
Que ces portes, seigneur, n’obéissent qu’à moi :
Venez. Partout ailleurs on pourrait nous entendre.

AMAN.

Quel est donc le secret que tu me veux apprendre ?

HYDASPE.

Seigneur, de vos bienfaits mille fois honoré,
Je me souviens toujours que je vous ai juré
D’exposer à vos yeux, par des avis sincères,
Tout ce que ce palais renferme de mystères.
Le roi d’un noir chagrin paraît enveloppé :
Quelque songe effrayant cette nuit l’a frappé.
Pendant que tout gardait un silence paisible,
Sa voix s’est fait entendre avec un cri terrible.
J’ai couru. Le désordre était dans ses discours :
Il s’est plaint d’un péril qui menaçait ses jours ;
Il parlait d’ennemi, de ravisseur farouche ;
Même le nom d’Esther est sorti de sa bouche.
Il a dans ces horreurs passé toute la nuit.
Enfin, las d’appeler un sommeil qui le fuit,