Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/294

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déjà en état de répondre aux questions qu’on lui fait.

Je crois ne lui avoir rien fait dire qui soit au-dessus de la portée d’un enfant de cet âge qui a de l’esprit et de la mémoire. Mais quand j’aurais été un peu au delà, il faut considérer que c’est ici un enfant tout extraordinaire, élevé dans le temple par un grand prêtre, qui, le regardant comme l’unique espérance de sa nation, l’avait instruit de bonne heure dans tous les devoirs de la religion et de la royauté. Il n’en était pas de même des enfants des Juifs que de la plupart des nôtres : on leur apprenait les saintes lettres, non-seulement dès qu’ils avaient atteint l’usage de la raison, mais, pour me servir de l’expression de saint Paul, dès la mamelle. Chaque Juif était obligé d’écrire une fois en sa vie, de sa propre main, le volume de la loi tout entier. Les rois étaient même obligés de l’écrire deux fois[1] et il leur était enjoint de l’avoir continuellement devant les yeux. Je puis dire ici que la France voit en la personne d’un prince de huit ans et demi[2], qui fait aujourd’hui ses plus chères délices, un exemple illustre de ce que peut dans un enfant un heureux naturel aidé d’une excellente éducation ; et que si j’avais donné au petit Joas la même vivacité et le même discernement qui brillent dans les reparties de ce jeune prince, on m’aurait accusé avec raison d’avoir péché contre les règles de la vraisemblance.

L’âge de Zacharie, fils du grand prêtre, n’étant point marqué, on peut lui supposer, si l’on veut, deux ou trois ans de plus qu’à Joas.

J’ai suivi l’explication de plusieurs commentateurs fort habiles, qui prouvent, par le texte même de l’Écriture, que tous ces soldats à qui Joïada, ou Joad, comme il est appelé dans Josèphe, fit prendre les armes consacrées à Dieu par David, étaient autant de prêtres et de lévites, aussi bien que les cinq centeniers qui les commandaient. En effet, disent ces interprètes, tout devait être saint dans une si sainte action, et aucun profane n’y devait être employé. Il s’y agissait non-seulement de conserver le sceptre dans la maison de David, mais encore de conserver à ce grand roi cette suite de descendants dont devait naître le Messie : « Car ce Messie tant de fois promis comme fils d’Abraham devait aussi être le fils de David et de tous les rois de Juda. » De là vient que l’illustre et savant prélat[3] de qui j’ai emprunté ces paroles appelle Joas le précieux reste de la maison de David. Josèphe en parle dans les mêmes termes ; et l’Écriture dit expressément que Dieu n’extermina pas toute la famille de Joram, voulant conserver à David la lampe qu’il lui avait promise. Or cette lampe, qu’était-ce autre chose que la lumière qui devait être un jour révélée aux nations ?

L’histoire ne spécifie point le jour où Joas fut proclamé. Quelques interprètes veulent que ce fût un jour de fête. J’ai choisi celle de la Pentecôte, qui était l’une des trois grandes fêtes des Juifs. On y célébrait la mémoire de la publication de la loi sur le mont de Sinaï, et on y offrait aussi à Dieu les premiers pains de la nouvelle moisson : ce qui faisait qu’on la nommait encore la fête des prémices. J’ai songé que ces circonstances me fourniraient quelque variété pour les chants du chœur.

Ce chœur est composé de jeunes filles de la tribu de Lévi, et je mets à leur tête une fille que je donne pour sœur à Zacharie. C’est elle qui introduit le chœur chez sa mère. Elle chante avec lui, porte la parole pour lui, et fait enfin les fonctions de ce personnage des anciens chœurs qu’on appelait coryphée. J’ai aussi essayé d’imiter des anciens cette continuité d’action qui fait que leur théâtre ne demeure jamais vide, les intervalles des actes n’étant marqués que par des hymnes et par des moralités du chœur, qui ont rapport à ce qui se passe.

On me trouvera peut-être un peu hardi d’avoir osé mettre sur la scène un prophète inspiré de Dieu, et qui prédit l’avenir. Mais j’ai eu la précaution de ne mettre dans sa bouche que des expressions tirées des prophètes mêmes. Quoique l’Écriture ne dise pas en termes exprès que Joïada ait eu l’esprit de prophétie, comme elle le dit de son fils, elle le représente comme un homme tout plein de l’esprit de Dieu. Et d’ailleurs ne paraît-il pas, par l’Évangile, qu’il a pu prophétiser en qualité de souverain pontife ? Je suppose donc qu’il voit en esprit le funeste changement de Joas, qui, après trente ans d’un règne fort pieux, s’abandonna aux mauvais conseils des flatteurs, et se souilla du meurtre de Zacharie, fils et successeur de ce grand prêtre. Ce meurtre, commis dans le temple, fut une des principales causes de la colère de Dieu contre les Juifs, et de tous les malheurs qui leur arrivèrent dans la suite. On prétend même que depuis ce jour-là les réponses de Dieu cessèrent entièrement dans le sanctuaire. C’est ce qui m’a donné lieu de faire prédire de suite à Joad et la destruction du temple et la ruine de Jérusalem. Mais comme les prophètes joignent d’ordinaire les consolations aux menaces, et que d’ailleurs il s’agit de mettre sur le trône un des ancêtres du Messie, j’ai pris occasion de faire entrevoir la venue de ce consolateur, après lequel tous les anciens justes soupiraient. Cette scène, qui est une espèce d’épisode, amène très-naturellement la musique, par la coutume qu’avaient plusieurs prophètes d’entrer dans leurs saints transports au son des instruments : témoin cette troupe de prophètes qui vinrent au-devant de Saül avec des harpes et des lyres qu’on portait devant eux ; et témoin Élisée lui-même, qui étant consulté sur l’avenir par le roi de Juda et par le roi d’Israël, dit,


    la création du monde jusqu’au consulat de Stilicon, l’an 400 de Jésus-Christ. Cet ouvrage, très-bien fait, lui a mérité le nom de Salluste chrétien. Il est de plus auteur d’une Vie de saint Martin de Tours, composée pendant la vie de ce saint évêque. Sulpice Sévère était né à Agen ; Il mourut vers l’année 420. (G.)

  1. Ce que Racine avance ici n’est nullement exact. 1o Chaque Juif n’était point obligé d’écrire le volume de la loi. Cela n’eût été possible chez aucun peuple. Le commun des Juifs était si peu instruit, qu’il fallait tous les sept ans, dans l’année sabbatique, lire la loi au peuple assemblé, de peur qu’il ne l’oubliât. 2o Les rois n’étaient obligés d’écrire, et, suivant plusieurs interprètes, de ne faire écrire qu’une copie de la loi. Le passage de l’Écriture qui prescrit cette obligation la restreint même au Deutéronome. (Acad.)
  2. Louis de France, duc de Bourgogne, fils de Monseigneur, élève de Fénelon, pour lequel il conserva le plus vif attachement. Sa mort prématurée, et celle de son épouse, plongèrent la France dans le deuil. Le duc de Bourgogne fit éclater dès son enfance un esprit fort supérieur à son âge. Né en 1682, il n’avait réellement que huit ans et demi dans les premiers mois de 1691, lorsque Racine fit cette préface. (G.)
  3. M. de Meaux. (Note de Racine.) Les paroles que Racine vient de citer sont tirées de l’Histoire universelle de Bossuet, seconde partie, sect. IV. (G.)