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ANDROMAQUE
ANDROMAQUE.

Hélas ! de quel effet tes discours sont suivis !
980Il ne me restoit plus qu’à condamner mon fils.

CÉPHISE.

Madame, à votre époux c’est être assez fidèle :
Trop de vertu pourroit vous rendre criminelle.
Lui-même il porteroit votre âme à la douceur.

ANDROMAQUE.

Quoi ? je lui donnerois Pyrrhus pour successeur ?

CÉPHISE.

985Ainsi le veut son fils, que les Grecs vous ravissent.
Pensez-vous qu’après tout ses mânes en rougissent ;
Qu’il méprisât, Madame, un roi victorieux
Qui vous fait remonter au rang de vos aïeux,
Qui foule aux pieds pour vous vos vainqueurs en colère,
990Qui ne se souvient plus qu’Achille étoit son père,
Qui dément ses exploits et les rend superflus ?

ANDROMAQUE.

Dois-je les oublier, s’il ne s’en souvient plus ?
Dois-je oublier Hector privé de funérailles,
Et traîné sans honneur autour de nos murailles ?
995Dois-je oublier son père[1] à mes pieds renversé,
Ensanglantant l’autel qu’il tenoit embrassé ?
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
1000Entrant à la lueur de nos palais brûlants,
Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et de sang tout couvert échauffant le carnage.
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,

  1. Les éditions de 1768, de 1807 (la Harpe), de 1808 et celle de M. Aimé-Martin ont : « mon père, » au lieu de : « son père, » qui est la leçon de toutes les éditions imprimées du vivant de Racine, et non pas seulement, comme le dit M. Aimé-Martin, celle des premières éditions.